Avec ce premier film, tourné dans un coin perdu du Costa-Rica, la réalisatrice Nathalie Álvarez Mesén dresse le portrait d’une femme singulière. Expérience cinématographique aussi sensitive que sensuelle, Clara Sola peut aussi être vu comme une fable sur le thème de la beauté cachée, un conte revisité où une Cendrillon rétive et plus toute jeune tenterait sa chance avec le prince charmant.


Mur invisible


Dès la première scène, le décor est planté. Clara Sola qui aime passer du temps avec sa jument Yuca, n’arrive pas à s’approcher d’elle. C’est en fait une barrière invisible, symbolisée par de petits bouts de tissus mauves, qui empêche la jeune femme de passer. Une clôture mentale sensée la protéger de ses propres fugues. La maisonnée toute proche est dominée par les femmes, sous l’autorité de la grand-mère. Il y a aussi Maria, une adolescente pétillante dont la beauté fait la fierté de la famille et qui fêtera bientôt ses quinze ans dans une robe de princesse. Clara, la quarantaine, renfermée et souffrant de scoliose, n’a pas cette chance. Et ce n’est pas sa mère qui encouragera son indépendance, bien au contraire. Persuadée que sa fille ainée est dotée du pouvoir de guérisseuse, elle n’entend pas renoncer à cette source de revenus non négligeable. De toute la région, malades et vieillards viennent ainsi « toucher » la madone de la forêt contre quelques billets.


Expérience sensitive et magique


Entravée, dévalorisée, Clara se réfugie dans une relation fusionnelle avec la forêt. Elle fait corps avec la terre, communique avec les insectes et ressent avant tout le monde les séismes et les orages. Ainsi, elle entretient une relation particulière avec un scarabée secrètement surnommé Ofir. Cette communion avec la faune et la flore s’accompagne de manifestations surnaturelles dont la réalisatrice va faire du spectateur le témoin privilégié. Comme dans cette scène féérique où la jeune femme s’abandonne à l’étreinte d’un arbre sous le scintillement magique des lucioles. La réalisatrice convoque ici tous les les éléments – eau, terre, lumière – dans une véritable déclaration d’amour à la nature. On notera par ailleurs la photographie remarquable de Sophie Winqvist Loggins et la partition magnétique de Ruben de Gheselle.


Sensualité et beauté cachée


Mais Clara n’en reste pas moins femme. Son corps abimé, fatigué, instrumentalisé ne demande en réalité qu’à s’éveiller. D’autant que la jeune femme, totalement désinhibée, n’hésite déjà pas à embrasser son jeune neveu « pour s’entrainer » ou à se caresser pendant le feuilleton regardé en famille. Un désir de sexualité que la matriarche s’emploie à punir en badigeonnant de piment les mains de la pauvre Clara. Alors quand le beau Santiago arrive à la ferme pour donner un coup de main, c’est l’émoi dans la maisonnée. La séduisante Maria sera certes la première à user de ses charmes pour le mettre dans son lit, mais Clara, malgré son handicap et son statut d’idiote du village ne renoncera pas à ses chances. Quitte à faire voler en éclat le carcan familial, moral et social qui l’entrave. Un portrait magnifique porté par l’interprétation remarquable de la danseuse professionnelle Wendy Chinchilla Araya. Un très beau premier film.


8/10


Critique parue initialement sur le MagduCiné

Theloma
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Ni dieux ni maîtres, Expériences sensitives, Une affiche à l'image du film, Pour le MagduCiné et Mon top 1000

Créée

le 6 juin 2022

Modifiée

le 6 juin 2022

Critique lue 239 fois

12 j'aime

7 commentaires

Theloma

Écrit par

Critique lue 239 fois

12
7

D'autres avis sur Clara Sola

Clara Sola
Theloma
8

L'étreinte du désir

Avec ce premier film, tourné dans un coin perdu du Costa-Rica, la réalisatrice Nathalie Álvarez Mesén dresse le portrait d’une femme singulière. Expérience cinématographique aussi sensitive que...

le 6 juin 2022

12 j'aime

7

Clara Sola
Cinephile-doux
8

Tropique du désir

Clara n'est pas seule. Elle communique avec la nature qui l'entoure et ses animaux qui semblent comprendre en quoi sa "différence" n'est un problème que pour les humains, sa famille, notamment, qui...

le 3 avr. 2022

4 j'aime

Clara Sola
el_blasio
7

Clara dans le flou

Ce récit d’émancipation collisionne réalisme, onirisme et fantstique pour dépeindre un portrait de femme détonnant, original et subversif. Aux confins de la campagne costaricienne, Clara (Wendy...

le 4 mars 2022

4 j'aime

Du même critique

Us
Theloma
7

L'invasion des profanateurs de villégiature

Avec Us et après Get Out, Jordan Peele tire sa deuxième cartouche estampillée "film d'horreur". Sans vraiment réussir à faire mouche il livre un film esthétiquement réussi, intéressant sur le fond...

le 21 mars 2019

108 j'aime

33

Ad Astra
Theloma
5

La gravité et la pesanteur

La quête du père qui s’est fait la malle est un thème classique de la littérature ou du cinéma. Clifford (Tommy Lee Jones) le père de Roy Mac Bride (Brad Pitt) n’a quant à lui pas lésiné sur la...

le 18 sept. 2019

97 j'aime

55

Life - Origine inconnue
Theloma
7

Martien go home

Les films de série B présentent bien souvent le défaut de n'être que de pâles copies de prestigieux ainés - Alien en l’occurrence - sans réussir à sortir du canevas original et à en réinventer...

le 21 avr. 2017

81 j'aime

17