Pour un premier long-métrage, il y a toujours cette excitation chez le spectateur de vivre et permettre l’émergence d’un nouveau réalisateur. Une excitation qui naît de la volonté d’un sang neuf dans un monde cinématographique qui se définit à travers les sorties calibrées des « Grands ». Clip de Maja Milos déconcerte. On pense d’abord que pour exister, la réalisatrice serbe choisit de choquer gratuitement et de plonger son cinéma dans les abysses des comportements humains. Elle prône un voyeurisme dérangeant qui flirte avec les limites de la pornographie. Mais, Clip est finalement un film intimiste dont la provoque n’est que la réponse à la volonté de tout montrer sans rien cacher, de ne pas jouer sur un hors-champs qui ne sert finalement qu’à éviter la censure. Maja Milos s’inscrit alors dans la lignée du cinéma-vérité. Elle décuple l’interaction entre le sujet et le spectateur par le biais de ce portable qu’utilise constamment Jasna (Isidora Simijonovic). Sa caméra lie directement le spectateur et le protagoniste, dresse une connexion sensorielle qui fait que le spectateur ressent presque mimétiquement les émotions de son alter-égo filmique.

Le cinéma-vérité se détermine par son inscription dans un contexte social précis. C’est un cinéma anthropologique qui capture une société à un moment donné à travers les agissements d’un personnage censé être représentatif du milieu dans lequel il évolue. Jasna est ainsi le symbole de la jeune Serbie dévastée et débridée. Ses adolescents condensent les dérives de la société post-yougoslave : nationalisme exacerbé avec la revendication du Kosovo ; violence dans la société (passage à tabac, machisme) ; population pauvre (orphelinat, maladie) ; alcoolisme et droguée. Dans cette Serbie campagnarde dévastée, ils n’essayent que d’échapper à leur condition de vie. Lorsque Jasna se libère enfin de son mutisme sur son père, Djole lui dira d’ailleurs « Je vais te remonter le moral » en préparant des rails de cocaïne montrant ainsi que les substances servent à fuir momentanément un quotidien de misère.

Clip est un long-métrage trash et légèrement pornographique, mais c’est avant tout le parcours initiatique d’une jeune fille perdue. Comme cette jeunesse serbe, Jasna est en quête d’elle-même. Débridée et sexualisée à outrance, elle serait l’illustration de cette musique techno serbe profondément misogyne qui prône l’asservissement de la femme. Dans un climat culturel vantant presque la prostitution, les jeunes femmes se (dé)vêtissent et offrent leur corps aux hommes. Dans cette génération « clip », c’est par les réseaux sociaux (Facebook) et les vidéos (portables) que les histoires se font et se défont. Cependant, Jasna passe de la sexualité bestiale et débridée (fellation, coup à la va-vite) aux sentiments avec Djole. Elle est la première à prendre conscience d’un changement, elle s’ouvre par un « je t’aime, je pourrais tout faire pour toi » dont la réponse violente de Djole sera « Tu as qu’à apprendre à bien sucer ». D’un plan cul, ils deviennent petit à petit plus intime s’offrant même un premier baiser et certaines confidences. C’est du sang et des coups que surgit une dernière fois l’amour comme-ci seuls les excès pouvaient engendrer le vrai et le sincère.

La vie est faite de passion à l’image du film de Maja Milos. De son radicalisme tant visuel que scénaristique, elle arrive à dégager une certaine bienveillance. Rien n’est gratuit. Clip est une expérience sur les limites du spectateur : ce qu’il peut endurer de voir, ce qu’il peut endurer de ressentir, jusqu’où peut-il y avoir une identification. Clip est une réussite, un grand coup dans le paysage cinématographique. A bientôt Maja.

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le 10 mai 2013

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