C’est généralement sur le terrain de l’originalité que Pixar se distingue, comme en témoigne leur dernière grande réussite, Vice-Versa : un talent singulier pour trouver la bonne idée et l’approfondir au profit du divertissement et de l’émotion.
Paradoxalement, Coco ne brille pas sur ce domaine : cette histoire mettant en valeur la musique, les racines familiales, et la quête enfantine n’a finalement rien de révolutionnaire, et l’on pourrait même guetter, en insistant un peu (et avec un cœur de pierre) quelques éléments prémâchés, notamment dans la figure du méchant et l’écriture du duel final.
Mais c’est justement là que le film fait mouche : dans son appréhension de la tradition. Dès son ouverture initiale, virtuose sommaire permettant la rencontre du papier découpé et du dernier cri en matière d’animation, Lee Unkrich (à qui l’on doit déjà le sommet Toy Story 3) et Adrian Molina affichent leur intention : Coco sera avant tout un voyage vers le folklore et la visite d’une culture.
De ce fait, la trajectoire du jeune Miguel vers le pays des morts et l’enquête qu’il va effectuer sur ses racines familiales a tout de la mise en abyme : le film est avant tout l’exploration enthousiaste et graphique de la culture mexicaine, du fameux jour des morts et de tout ce qu’il présuppose en matière de deuil et de rapport aux ancêtres.
La beauté du film doit ainsi à cette découverte émerveillée par le spectateur d’un univers à l’identité bien trempée : le climat chaud d’une soirée magique, l’intensité orange de pétale permettant le passage vers l’autre monde dans lequel les couleurs vives font vivre presque éternellement les racines d’un pays bigarré. Le monde des morts, s’il est démesuré et propre à initier une certaine magie hyperbolique (ces colonnes de maisons, ces administrations gigantesques, ces réseaux en mouvement constant, le tout finalement de tout ce que la SF nous sert depuis des décennies), vaut surtout pour sa résonance avec celui des vivants. Cohabitent ainsi une série d’atmosphères visuelles qui permettent de dessiner une gradation tout à fait éclairante : le passé est le noir et blanc du mythe De La Cruz sur les bandes VHS, mais aussi et surtout cette importance accordée aux photographies du souvenir ; le présent est une forme de sépia qui prend bien soin de ne pas trop actualiser le récit pour lui garantir une certaine universalité, tandis que le monde des morts éclate de couleurs, et semble avoir tout à apprendre au jeune musicien.
La virtuosité en termes d’animation est constante : dans cette inventivité constante des mouvements et de la décomposition des corps squelettiques, dans les maladresses des corps qui prennent véritablement chair (l’exemple du chien est en cela éloquent) et l’utilisation harmonieuse d’une musique au panel le plus large, de la comédie musicale la plus flamboyante aux duos intimistes.
Mais là où le folklore chromatique est le plus souvent une finalité (au hasard, le dernier Besson, Valérian), c’est ici ses possibles illusions qui intéressent davantage : la recherche de la pièce manquante de la photographie, le fantasme qu’elle peut induire et le piège de la grandiloquence en termes de spectacle. Dans cette logique invariable de la valorisation du noyau familial, Coco est donc à la fois traditionnel et réussi : parce qu’il met en mouvement une fête qu’on pourrait croire figée sur le passé silencieux des morts, parce qu’il reconnait qu’une famille est tout autant le lieu de l’amour que du déterminisme et des tabous.
Ce talent unique de Pixar a un secret : écrire de véritables personnages, le plus souvent à la marge. Les jouets de Toy Story, l’enfant de Vice-Versa, ou le vieillard de Là-haut, autant de figures singulières et dotées d’émotions propres. Dans Coco, le personnage éponyme permet ainsi une séquence bouleversante, qu’on ne pensait pas trouver dans un film d’animation : celle d’un visage aux mille rides qui, justement, s’anime à l’émotion du souvenir.