Sur 2010, Orelsan nous balance cet autoportrait :
J’viens d'Caen, ça s’entend, j’ai l’accent Bas-Normand J’parle
lentement,
j’ai un coup d'barre depuis mes 14 ans.
Comment c’est loin peut être considéré comme la mise en film de cet instantané.
Ceux qui haïssent le bonhomme y trouveront du grain à moudre.
Mais pour peu qu’on affectionne ce poète loser, le film est aussi attachant que savoureux.
Orelsan, c’est la version 2.0 de l’oisif : médiocre, anesthésié, sans motivation, bien mieux connu depuis qu’il devise sur son inaction dans Bloqué avec son comparse qui l’accompagne aussi dans cette aventure cinématographique. Le projet est glissant : intrusion du romanesque, nécessité d’une intrigue, recours à des personnages secondaires et dilatation pour tenir 90 minutes sont autant de pièges faciles.
Sur ces points, le rappeur s’en sort avec les honneurs. Certes, on n’évite pas un certain formatage dans la dynamique générale (exposition – crise – résolution), mais on comprend bien vite que l’essentiel est ailleurs. Le jeu des deux protagonistes, l’écriture assez efficace des seconds rôles (le directeur de l’hôtel, le black venu de nulle part, la copine antiglamour et surtout le pote « comédien »), la capture d’un quotidien provincial où l’on s’invente des destins à plus grande échelle génèrent un mix entre VDM et Groland.
Les petits détails fourmillent, et même si l’on sent de temps à autre l’accumulation d’idées rassemblées un peu artificiellement, l’écriture garde une cohérence : à l’image du discman tombant dans une flaque d’eau, de la séquence où l’on gonfle un pneu vide, voire de la supercherie sur les faux SMS et de la façon dont elle se termine, obéissent à la même logique : une chute qui destitue, tourne en dérision et proclame la victoire de la médiocrité.
C’est surtout dans l’écriture que les énergumènes excellent : que ce soit dans la justesse avec laquelle il évoquent la glande, dans les vannes, dont certaines très drôles, les répliques fonctionnent. Les passages chantés sont eux aussi plutôt séduisants, et l’accès au work in progress est probablement ce qui donne le plus de saveur au récit : les voir tenter des punchlines, rater bien des tentatives, accumuler des débuts stériles comme dans cette séquence dans l’abribus, avant de voir surgir une ébauche de sens a quelque chose de parfaitement réjouissant.
Bien entendu, la mise en abyme finale peut sembler facile : écrire sur le fait qu’on ne parvient pas à le faire et se diriger vers une apologie de la musique est pour le moins éculé. Mais c’est bien là le projet d’Orelsan depuis le début, et la lucidité avec laquelle il se regarde le nombril, bien loin des clichés égotistes généralement à l’œuvre dans le rap, est ce qui fait de lui un artiste attachant, que ce soit dans sa musique ou dans ce film.