Longtemps avant que Peter Jackson ne repopularise le genre, l'Héroic Fantasy était désertée des salles obscures. Ooh, on avait bien un film de Kull de temps en temps, mais rien de croquignole.
Un phénomène facilement explicable : " Peuh des mecs torse-poil qui se battent avec des gros glaives factices quel intérêt ? " disent les détracteurs... Et à la vision du Kull de Kevin Sorbo ou Red Sonja avec Brigitte Nielsen, on ne peut tomber que d'accord : c'est bidon.
Alors quand on essaye de parler du Conan de John Milius, on est souvent confronté à ce préjugé tenace alors que justement, celui-ci est un chef d'œuvre du genre. Une sorte de Prototype-Chaînon-Manquant entre Predator et Alexandre !
Des torses et des glaives, Milius va en faire sa problématique. Conan est un film sur le rapport de l'homme au métal, et à quel point ils sont similaires : pour les façonner, il faut les cogner, les bruler, les tremper, et les cogner à nouveau !
Tout commence par une épée. Le film s'ouvre sur une scène de forge, où l'on voit étape par étape comment le père de Conan fabrique sa dernière épée. Puis il enseigne à son fils comment le secret de l'acier a été dérobé aux Dieux, et qu'il faut le traiter avec respect.
C'est alors que Thulsa Doom, fasciné par l'acier et la domination, arrive avec sa clique et détruit le village de Conan dans une scène magnifique, empruntant autant à Kurosawa qu'aux bons vieux Westerns, et emportée par une musique martiale inoubliable !
L'héritage Wagnérien est plus qu'évident, et Milius fait intervenir du pur Opéra !
Il présente les antagonistes, Conan et Thulsa, sans qu'ils ne s'adressent une seule fois la parole ! Tout passe par une émotivité épidermique, une sorte de retour à un cinéma primitif et essentiel.
Les plans où Thulsa Doom s'empare de l'épée pour trancher la tête de maman Conan sont tout simplement incroyables.
Ensuite, Conan est emmené à la roue-de-la-douleur, qu'il va devoir pousser des années durant. Ce processus va l'endurcir, ce qui est la manifestation de deux thèmes majeurs du film...
Le "Ce qui ne te tue pas te rend plus fort" qui précède le générique est évident : Schwarzenegger, fantasme ultime du héros Nietzschéen, prête sa carrure au héros éponyme et va en prendre plein la gueule ! Après la roue, des combats organisés, des loups, des sorcières, des coups, un vautour... Conan va même passer de l'autre côté, et être sauvé in extremis par ses valeureux amis !
L'autre thème, répété dans nombres de récits du genre, c'est le vilain qui donne au héros les moyens de sa propre destruction !
En laissant Conan vivre une telle vie, Thulsa Doom scelle son destin : une mort violente !
John Milius y ajoute son grain de piment : au détour d'une scène Thulsa Doom présente à Conan la supériorité de la chair sur le métal, et se pose à lui comme un nouveau père. Ce qui n'est pas loin d'être vrai, puisqu'il la poussé à devenir qui il est... Mais Conan ne l'entend pas de cette oreille, et continuera à poursuivre sa vengeance quel qu'en soit le prix.
Ce retour du motif du rapport au métal apporte un contrepoint à ce que disait le père de Conan dans la première scène de dialogue.
Mais Conan connait trop le respect de l'acier. Une scène en témoigne, quand il trouve l'épée du squelette Atlante, avant de quitter les lieux, il invoque Crom son Dieu, puis la salue.
Le reste du film dépeint le cheminement de la vengeance de Conan, tout d'abord sur un mode anecdotique, où il rencontre ses deux acolytes, un Archer et une Walkyrie puis une mission leur est confiée : aller chercher la fille du Roi Max Von Sydow chez Thulsa Doom. De là le déroulement du film coule de source, les scènes d'action s'enchaînent à un rythme trépidant, jusqu'au duel final où Conan récupère l'épée meurtrie de son père avant de décapiter Thulsa Doom une bonne fois pour toute !
Avec ses mouvements de caméras en longue focale, ses choix de pose de la lumière super-audacieux, son personnage hautement original dans son écriture et ses thématiques empruntées tant à Friedrich qu'aux Vikings, Conan le Barbare demeure un film à part dans le paysage cinématographique mondial. A la fois séminal et ignoré...
Et surtout, le film, dans son carcan est resté sans successeur. Le deuxième Conan n'est qu'une série B mignonne, et les autres films d'Heroic Fantasy sont le plus souvent très mauvais. Il n'y a eu que McTiernan pour mettre en pratique les trouvailles de Milius, d'abord dans Predator, puis dans Le 13é Guerrier dont nombre de mouvements d'appareil sont tous droits issus de Conan.
La Trilogie des Anneaux telle qu'envisagée par Peter Jackson n'est quant à elle jamais à moitié aussi intelligente et sauvage !