Quand je vois ce film je me demande comment on a pu en arriver là … Parce que franchement le premier Conjuring n’était pas si mal, souffrant certes de défauts plus ou moins grossiers (surtout cette dernière partie ultra mauvaise) mais globalement il n’y avait rien de foncièrement honteux, James Wan arrivait à faire monter sa mayonnaise pour provoquer quelques frissons en privilégiant l’ambiance et la tension, donc il n’était pas des plus farfelu d’espérer quelque chose un tant soit peu dans la même veine. Enfin à vrai dire la bande annonce ne laissait pas présager le meilleur, ressemblant à une compilation de clichés sur-esthétisés insistant sur la soi-disant véracité d’un fait divers, celle de l’enquête paranormale la plus "perturbante" de Lorraine et Ed Warren, et pour moi c’est un distinguo très gênant (qui se posait déjà sur le précédent film), sans compter l’aspect surenchère car si l’affaire était si importante pourquoi ne pas l’avoir traité en priorité ? Ça sentait quand même le discrédit à plein nez, mais bon, peut être que ce côté sensationnaliste ne représentait qu’une certaine part mise en avant pour attirer les foules, le pire allait bel et bien malheureusement arriver …
Et les premiers signes ne trompent pas, j’en veux pour preuve l’introduction du film qui nous plonge littéralement dans une vision entièrement mise en scène, niveau subtilité c’est déjà critique, on profite entre guillemets de notre désormais familiarité avec le personnage de médium qu’est Lorraine Warren pour balancer des effets grossiers au possible, c’est incroyable, à peine démarré et on est directement dans une sorte de logique de train fantôme. Nous n’avons même pas le luxe de prendre le pou de l’ambiance qu’on est agressé, Wan abat ses cartes d’entrée pour nous dire "vous allez passer deux heures de peur bien gratos", et le reste ne trahira pas cette ambition typiquement commerciale, la mécanique est plutôt simple : fournir un lot de séquences truffées de jumpscares pour nous laisser constamment dans un climat d’oppression nerveuse, vous savez ce plan qui n’en fini pas, la musique qui se coupe, puis BOUH !, et la chose se répète inlassablement jusqu’à épuisement. L’histoire en elle-même ne jouit d’ailleurs pas d’une originalité folle, un esprit qui prend possession d’une petite fille pour faire comprendre à sa famille qu’elle doit quitter "sa" maison ou il les tuera, le tout avec une voix des plus caverneuse, les médias britanniques vont faire écho de l’affaire remontant aux oreilles du couple Warren qui décidera de leur venir en aide bien qu’une vision trouble de Lorraine semble freiner l’avenir de leur profession … on comprendra plus tard que tout cela est terriblement ficelé pour créer son petit twist et sa conclusion déconcertante de facilité.
Vous l’aurez sans doute compris ce qui me dérange avant tout dans ce film c’est sa façon putassière d’aborder une supposée histoire vraie (je rappelle que le producteur nous l’a vendu comme "effrayant et ancré dans le réel"), il ne serait resté qu’une simple série B intégralement fictionnelle peut être l’aurais-je vu sous un autre œil (bon je pense que ça serait resté mauvais), mais là c’est tellement invraisemblable et grotesque que le doute n’est pas permis une seule minute, je n’ai même pas eu envie de vérifier sur internet les diverses preuves, photos, témoignages rattachés à l’enquête, j’en avais strictement rien à foutre. Comment peut-on oser croire un minimum en ce genre de choses ? Le film ne laisse même pas planer des incertitudes ou une perplexité, c’est bidon de A à Z et le pire c’est que Wan ne le cache jamais, il n’y a pas de jeu avec le spectateur dans le sens où il pourrait s’interroger sur un sujet aussi passionnant que le paranormal, on ne lui propose que la passivité habituelle du cinéma horrifique mainstream et son goût pour les effets de manche en tout genre, c’est quand même très décevant de la part d’un réalisateur censé représenter le renouveau de l’épouvante, c’est même carrément alarmant. Parce que l’occasion était justement de profiter de son statut populaire pour contourner les codes et surprendre son public, seulement là il plonge à pieds joints dans ce système de grand spectacle balourd, je suis d’accord que la réalisation montre des qualités indéniables mais si elle ne reste qu’au service d’un grand fouilli scénaristique je ne vois pas l’intérêt, j’aurais préféré l’inverse.
Puis admettons qu’on laisse de côté les aprioris quant à l’authenticité du fait divers adapté, le schéma de Conjuring 2 a de toute évidence tout pour complaire et nourrir ses spectateurs assoiffés de trouillitude triviale, c’est à dire un rythme soutenu qui ne se pose que très rarement, des phénomènes télékinésiques à la pelle, des apparitions en veux-tu en voilà, de la musique d’ambiance qui monte et redescend pour le plus grand déplaisir coupable de notre petit cœur fragile, à chaque séquence son billet tendu disgracieusement. Le soucis étant qu’on est emporté dans une sorte de tourbillon inarrêtable et ingérable émotionnellement, la logique aurait voulu qu’on s’arrête un long moment sur cette famille pour voir comment elle vit, mais le contexte mis en place est mince, on sait juste que la mère élève seule ses quatre enfants, et 10 minutes plus tard une des jeunes filles va se mettre à parler avec une voix étrangère sans qu’on puisse s’inquiéter ou soupçonner quelque chose, puis rebelote 5 minutes après où la gosse va voir un fantôme jouer avec la zapette, finissant par léviter (subtil on vous dit), et ainsi de suite … Tout ça pour dire qu’il y a un gros problème de dosage en terme d’ambiance, il n’y a pas de montée en intensité, on est servit d’une séquence à l’autre de manière parfois incompréhensible, comme par exemple le passage avec la nonne diabolique qui apparait dans un couloir pour ensuite se servir d’un tableau pour montrer ses chicos pourris, ah mais non en fait c’est un rêve, ok, passons à la suite, etc, quand je vous dis que ce film est un train fantôme ambulant je ne mens pas, un vrai cirque pseudo horrifique.
Mais je crois que le pompon reste cet espèce de croque mitaine numérique cartoonesque (mélange ô combien raffiné entre Freddy Krueger et le Babadook), là on est dans le grand n’importe quoi, on ne sait pas ce qu’il fout ici ni quel est son rôle, James Wan ne respecte plus rien et j’ai fini par rigoler de dépit (ce qui n'est pas si fréquent). À partir de là difficile de prendre le projet un tantinet au sérieux tant il tombe dans de si vulgaires poncifs, le reste du film m’a semblé être une farce (si ce n’était pas déjà le cas), ce qui fait que ça souligne encore plus les surjeux, la photographie clinquante, les clichés religieux ou l’aspect attendu du script. Idem concernant la mièvrerie des sentiments entre Ed et Lorraine, le montage place une scène d’imitation de Elvis à la guitare au milieu d’un grand foutoir, aucun intérêt d’appuyer ce genre de sous-texte si on ne l’a pas entretenu avant, à force de cultiver l’insuffisance on ne récolte rien. Le seul point possiblement intéressant et exploitable restait la psychologie de la gamine, qui entre deux possessions risibles et agressions spectrales éprouvantes pouvait se révéler être attachante, mais malgré les efforts de la jeune actrice l’empathie est malheureusement impossible tant tout le monde semble se foutre d’elle (sauf peut être Ed Warren), même sa mère qui n’hésite pas à la recoller dans cette foutue chambre, cruel tout ça, mais pour le bien d’une enquête paranormale un petit traumatisme ineffaçable est apprécié. Et ce qui me fait halluciner c’est que les phénomènes tombent en pagaille mais les fameux détectives ne sont pas foutu de capter une image constituant une preuve, et on remet en cause l’occultisme ensuite, genre on retombe dans le concret et le cartésien, c’est pas comme si c’était la maison hantée de Disney là dedans. Bref. Et je passe sous silence cette fin ahurissante, la cerise sur le gâteau.
The Conjuring 2 est la synthèse de tout ce qui déconne dans le genre horrifique depuis une dizaine d’années, ce moyen malsain et compulsif d’une industrie méprisante et méprisable d’orchestrer nos ressentis et notre façon de qualifier la peur au cinéma, avec ce film on a tout simplement affaire à un produit calibré par des producteurs visant à abreuver à coup de promo de gros forceur une escroquerie totale attachée à un nom désormais bien connu (même si ils n’oublient pas de préciser son pedigree sur l’affiche). La peur ne consistant qu’à provoquer nos réflexes cardiologiques ne suffit pas (enfin plus, putain on est en 2016 !) pour faire un bon film d’épouvante, il faut un climat, un rythme particulier, une qualité de mise en scène, du mystère, tout ce que James Wan a oublié alors qu’il avait entre les mains une matière modelable et un sujet passionnant, il n’a aucune excuse de s’être ramassé à ce point là. Et ça me rend encore plus furieux de voir que le film fait déjà un carton en salles alors qu’une œuvre réellement rafraichissante comme The Witch est depuis déprogrammé en masse parce que trop sombre et anti commerciale, le temps n’est plus à l’audace, c’est désormais confirmé.