Briser les glaces
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Finalement, le film Corps et âme pourrait se résumer à une histoire de contacts. Contact physique, contact social, contact humain, et au bout du compte, quand tout le reste est rejeté, un improbable mais superbe contact onirique.
Le film nous présente donc deux personnages ? D'un côté, il y a Endre. Il dirige un abattoir mais se contente de tout regarder de haut, sans sortir de son bureau. On lui reprochera d'ailleurs de ne pas aller au contact des employés. Et finalement, il quitte son travail pour se retrouver seul chez lui (ou, dans le meilleur des cas, en train de faire l'amour à la femme de son DRH, ce qui ne veut pas forcément dire qu'il forme un couple avec elle). Une absence de contact qui est symbolisée par cette main paralysée, ce bras handicapé qu'il ne peut pas tendre vers l'autre (on peut dire que nos deux personnages sont, d'un certain côté, des handicapés sociaux).
Face à lui, il y a Maria. Elle arrive dans cet abattoir en remplacement d'un congé maternité. C'est la nouvelle contrôleuse qualité. Obsédée par les nombres, les règles, les rangements, les classements, les normes, elle mène une vie bien ordonnée mais minimaliste, sèche, vide.
N'allez pas croire que c'est un choix. Nos deux personnages souffrent de cette situation. Il faut voir comment Maria, une fois rentrée chez elle, joue à reproduire les scènes marquantes de sa journée avec des salières ou des Playmobil. Chez elle, l'incommunicabilité semble pathologique. Elle refuse qu'on la touche, elle ne parle pas, elle ne veut même pas que l'on soit familier avec elle (refusant ainsi l'emploi du diminutif Marika). Alors qu'Endre, bien que solitaire, reste ouvert et dégage une profonde sympathie derrière son visage volontiers moqueur, Maria est froide. Pour parler d'elle, les autres employés la comparent à un robot.
Les décors du film sont des lieux importants. Ainsi, Corps et âme se déroule essentiellement en quatre lieux principaux, deux lieux d'isolement et deux lieux de rencontres.
Les lieux d'isolement, ce sont les appartements des deux personnages principaux. Deux appartement conçus pour s'opposer visuellement (celui d'Endre est baigné de couleurs chaudes là où celui de Maria est d'un blanc froid, glacial même), mais qui n'en restent pas moins des lieux où la solitude des personnages est la plus flagrante.
Les deux lieux de rencontres sont eux aussi conçus pour s'opposer frontalement. D'un côté il y l'abattoir. Et la cinéaste ne nous cache rien de la réalité quotidienne du travail là-bas. Mise à mort des bœufs, sang qui gicle, tête coupée, tout nous est montré frontalement. A cette réalité brutale et sanglante s'oppose donc le second lieu de rencontre, le monde onirique.
Car nos deux personnages solitaires se rencontrent bel et bien d'une façon inattendue : ils font un rêve commun. Ils se retrouvent tous les deux, sous la forme d'un cerf et d'une biche, dans une forêt enneigée. Et cette forêt, lieu de calme, de beauté et de sérénité, s'oppose catégoriquement à l'abattoir, comme la pesanteur du corps s'oppose à la légèreté de l'esprit.
Il y a quelque chose comme cela pendant la première partie du film : la cinéaste se plaît à filmer aussi bien la boue, les corps, le sang, la pesanteur physique, mais aussi à insister sur la légèreté, l'aérien, les sensations, le soleil sur la peau, les mains qui frôlent un objet. Et plus le film va avancer, plus le côté aérien va prendre de l'importance, comme s'il se libérait de la pesanteur corporelle. Corps et âme est un film sensible, c'est-à-dire qu'il touche plus particulièrement les sens. C'est à un éveil des sens, une éducation sensuelle, que nous invite la cinéaste.
Corps et âme est un de ces films dont on ressort heureux. En cela, on peut dire, reprenant l'expression récente, que c'est un feel-good movie. Et la réalisatrice a suffisamment d'intelligence pour ne pas nous le faire en assénant des messages lourds ou en se faisant donneuse de leçons. Elle se contente de nous montrer deux âmes qui se rapprochent petit à petit. Elle évite tous les pièges tendus sur sa route et elle agit avec beaucoup de subtilité. Certaines scènes qui, chez d'autres, auraient tourné au graveleux, parviennent à garder leur poésie sous sa caméra. Corps et âme se révèle être un film inattendu et beau. Un film qui n'a manifestement pas eu une audience suffisante, malgré un Ours d'or à Berlin en 2017.
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Créée
le 21 mars 2018
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