Voir Michel Hazanavicius s’emparer d’un projet comme Coupez ! n’est guère surprenant : le réalisateur a, dès ses débuts, emprunté le matériau existant pour s’interroger sur sa forme : le cinéma américain dans le mashup La Classe américaine, le cinéma muet avec The Artist ou les coquetteries formalistes de Godard dans Le Redoutable. Ce nouveau projet s’interroge donc sur le film de zombie, et plus particulièrement ces séries Z, fauchées et décomplexées. On aurait aimé qu’il soit une idée originale, mais il est en réalité le calque très fidèle de Ne coupez pas, réalisé en 2017 par Shin'ichirô Ueda, ce qui explique notamment toute la question du rapport au film japonais dont il faut garder les codes.

Coupez ! est donc un exercice formel dont la malice première réside dans la structure. Le premier film, qui se révélera très tard en abyme, consiste ainsi en un plan séquence d’une demi-heure, et joue déjà de l’immersion dans les coulisses d’un tournage de film de zombies sur lequel de véritables zombies finiraient par débarquer. Le plaisir consiste à proposer un film raté dans ses grandes largeurs, mal joué, mal rythmé, à la musique aléatoire, auquel on ne comprend pas grand-chose, le tout avec la photo criarde d’un DTV putassier. On retrouve l’audace d’Hazanavicius à faire du temps mort et de la durée excessive une matière comique, procédé qu’il utilisait déjà dans ses OSS 117 : le malaise renvoie bien à cette angoisse d’une mécanique qui se grippe et brise l’immersion tant souhaitée par le spectateur.

C’est que le spectacle est ailleurs, comme en témoigne le deuxième temps du film, qui remonte vers un récit encadrant et explique les conditions du tournage de ce fameux plan-séquence auquel Hazanavicius en substitue un autre, autrement plus virtuose, lors de la réunion de travail. La satire du milieu (producteur cynique, acteur arrogant, désorganisation générale) fonctionne un temps, mais c’est surtout le tournage lui-même qui s’avérera jubilatoire, puisqu’il permettra de donner toutes les explications aux manquements du premier film visionné. Le rire surgit donc de cet accès aux coulisses, et d’un comique de situation dont le public obtient les clés beaucoup plus tardivement que d’habitude. Le récit se déploie alors sur plusieurs niveaux, investit les hors-champs, les moniteurs de surveillance, la salle de projection des producteurs et fait la part belle aux interventions savoureuses de Jean-Pascal Zadi, compositeur musical complètement perdu.

La légèreté n’est pas de mise et on attendra du spectateur presque autant de disponibilité que dans l’ouverture, que ce soit par le motif d’une comédienne qui vit trop son jeu, un preneur de son atteint de problèmes digestifs ou des mignonneries sur les rapports père-fille. Mais l’essentiel est évidemment ailleurs : en donnant accès aux coulisses, Hazanavicius prend surtout plaisir à montrer la ruche qui s’agite derrière les caméras, des assistants aux accessoiristes, pris dans la course folle pour créer l’illusion. Et, au-delà de toutes les facticités plus ou moins bien exhibées, c’est là une démarche profondément sincère d’un réalisateur qui n’en a pas fini dans sa déclaration d’amour au cinéma.

(6.5/10)

Sergent_Pepper
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le 18 mai 2022

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Sergent_Pepper

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