En 1962, Peckinpah n’a qu’un western à son actif : New Mexico. Son deuxième long métrage, qu’on pourrait trouver bien sage avant les coups d’éclats que seront La Horde Sauvage ou Chiens de Paille, annonce pourtant la noirceur qui fera toute la singularité de son œuvre à venir.
L’intrigue, assez minimale, se greffe sur le canevas éculé du convoi : il s’agit ici de ramener de la poudre d’or, et de résister à la convoitise que la cargaison peut susciter.
L’intérêt réside donc moins dans les agressions extérieures que dans la tension qui agite le trio : l’homme intègre face aux deux voleurs dont les méthodes diffèrent : l’un veut prendre par la force, l’autre convaincre son vieux compagnon de céder à la corruption. Pour ce faire, de longs débats visant à mettre en lumière la condition du cow-boy et sa nécessités permettent d’écorner un peu le mythe de l’Ouest. La séquence d’ouverture avait déjà joué ce jeu : par une course assez fantasque mettant en concurrence des chevaux et un dromadaire, alors qu’une voiture leur fait suite : comme plus tard dans Cable Hogue, Peckinpah aime explorer ces périodes de transition dans lesquelles l’individu se trouve déconcerté, et où ne persiste qu’un invariant : la cruauté humaine.
Car Coups de feu dans la Sierra n’est pas seulement le portrait d’un homme intègre. C’est aussi, et surtout, à travers un récit secondaire qui va prendre une importance croissante, l’évocation d’un des bas-fonds de l’Amérique, de ces villes champignon poussées autour d’un filon d’or qui rendent fou les hommes. Un thème qu’on avait déjà vu évoqué dans La colline des potences de Daves ou Les affameurs de Mann.
La fille d’un fanatique religieux va ainsi permettre le grand écart entre le rigorisme de son éducation et la destination de sa fugue : le monde des mineurs, parmi lesquels elle va épouser un homme dont la fratrie a bien l’intention d’en faire un bien commun. C’est l’occasion pour Peckinpah de dévoiler toute sa fascination pour la noirceur la plus totale : un mariage abject, célébré par un juge alcoolisé au dernier degré, dont les demoiselles d’honneur sont des prostituées déguisées, le tout dans un cloaque qui n’attend que le oui des jeunes mariés pour laisser aller leurs pulsions les plus basses : l’alcool, la violence, le stupre. On pense à la fameuse scène de bal dans La Chevauchée des bannis de Toth, trois ans plus tôt, à la différence près qu’un pallier est franchi en terme d’explicite : cette vision de l’humanité la plus sordide est en tous points celle qu’on retrouvera dans les trognes patibulaires de Chiens de Paille.
Le convoi se transforme alors en sauvetage : retirer des griffes animales la jeune écervelée : l’or n’est pas là on l’avait cru jusqu’alors. Sur ce point, le récit converge tout de même vers une forme de rédemption, qui ne se fera pas sans certains sacrifices.
Qu’importe : Peckinpah est bien né : sous son regard, le western perdra une part de sa légende, au profit d’un discours désespéré sur l’humanité toute entière.