Il n’y a pas de regard d’enfant dans Cours sans te retourner, seulement le point de vue omniscient du réalisateur soucieux de tirer les larmes et de construire par les sévices successifs son Christ à lui : la qualité esthétique de certains plans détonne avec l’horreur des tourments endurés, sans que cette poétisation soudaine du réel ne soit provoquée par la perception du petit Jurek. La construction en flashbacks avec redoublement de certaines scènes produit une impression d’artificialité qui va crescendo jusqu’à la nausée, et le film s’obstine à prendre le spectateur par la main – ou en otage, selon la perspective choisie –, l’empêchant ainsi de s’égarer à son tour dans ces marécages tantôt boueux tantôt verglacés et dans lesquels il faut pourtant bien se cacher, échapper aux chiens et aux balles.
Quelques réussites locales sauvent le long-métrage, à commencer par la répétition fatale d’un même procédé de mise à l’écart du petit Juif en exigeant de lui qu’il baisse son pantalon. Ce rituel dégradant scande l’épopée malheureuse de notre héros et trouve là une passerelle intéressante entre le jeu d’enfants – comme uriner le plus loin possible, divertissement présent en milieu de film – et le signe d’une haine profonde et aveugle de la part des bourreaux.
Trop démonstratif pour convaincre, Cours sans te retourner ne fait rien ressentir, ou alors si peu, et se contente d’enchaîner les séquences sans soigner les transitions, sans placer sa caméra au service de l’errance et de la traque, sans oser épouser et éprouver la focalisation de l’enfant plongé malgré lui dans le chaos, comme le faisait si bien Le Garçon au pyjama rayé.