Jeff Bridges compose le film à lui tout seul
Jeff Bridges fait parti de ces acteurs au grand talent qui n’ont jamais vraiment pu être distingués par les autres. Par-là, il faut bien sûr sous-entendre être récompensé aux Oscars. Et ce malgré de multiples nominations ! Pour l’acteur en question, ces nominations se comptent au nombre de quatre (pour La Dernière Séance, Le Canardeur, Starman et Manipulations ; True Grit n’est pas pris en compte, ce film étant sorti après Crazy Heart). Avec ce film de Scott Cooper (dont c’est le premier), Bridges atteint enfin la consécration : Oscar du Meilleur acteur en 2010 pour son rôle de Bad Blake. Et dans un film qui n’a pas vraiment marqué (surtout au niveau du box-office qui, même si compte une certaine rentabilité avec son faible budget de 7 millions de dollars, n’affiche qu’en France à peine 50 000 entrées). Explications.
Crazy Heart est un roman que Scott Cooper a voulu adapté pour retranscrire son vécu (ayant grandi dans le même « univers » que le personnage de Bad Blake), son amour pour les chansons country. Quand on regarde le film, on éprouve cette sensation. Le réalisateur nous partager tout cela et on se laisse prendre en jeu sans aucune difficulté, hypnotisé par cette ambiance musicale et cet univers. Et pour compléter son amour, Cooper s’intéresse de très près à son personnage principal, aussi bien scénaristiquement que visuellement. Le suivant sans le lâcher d’une semelle sur la route, durant les concerts, dans sa vie privée… Le rendant indispensable à chaque plan (en même temps, le protagoniste est omniprésent à chaque seconde du film). Et ce par le biais d’une mise en scène sobre (servie par d’excellents jeux de lumière), jamais clinquante ni tape-à-l’œil. Une déclaration d’amour qui se devait d’avoir un interprète digne de ce nom pour entrer dans la peau du personnage en question.
Et c’est là que Jeff Bridges entre en scène ! Dès sa première apparition à l’écran, il électrise l’assistance. C’est un coup de foudre qui n’attend pas pour se manifester. Le voir en ancienne star de country continuant sa carrière en faisant la tournée des bars (pour des concerts locaux) tout en tentant de remonter la pente (par des problèmes d’alcoolisme et de « laisser-aller » dans sa vie) est un véritable spectacle à part entière. Longs cheveux plaqués en arrière, barbe grisonnante, allure de cow-boy, l’acteur a là un charisme phénoménal ! Écrasant sans peine ses complices, tout aussi bons pourtant (Maggie Gyllenhaal, Robert Duvall…) ! C’est un vrai régal de le voir jouer avec autant de naturel cette célébrité déchue qui n’est plus que l’ombre d’elle-même (au point qu’elle compte dévoiler son véritable nom sur sa tombe et de garder son pseudo Bad Blake jusque-là), grognant à tout-va à chaque fois que son agent lui organise un plan miteux. Préférant gagner de l’argent, boire et rester dans sa chambre, chemise grande ouverte. Et l’acteur est tellement à fond dans la peau de son personnage que l’on arrive presque à dire qu’il s’agit d’un film sur lui-même. Oscar mérité amplement !
Mais à certains moments, il semblerait bien que Scott Cooper déclare également son amour à la célébrité qu’est Jeff Bridges. Comme si le voir à chaque plan ne suffisait pas, nous avons l’impression de revoir le Duc (Dude en VO), son mythique rôle dans The Big Lebowski. Un mec menant son train de vie à sa guise : souvent en peignoir, sortant juste pour faire un bowling avec ses potes, s’enfermant dans l’alcool et la drogue. Voir Bad Blake rappelle fortement cela, et la présence de Jeff Bridges n’est pas la seule explication ! Cooper prend son temps à filmer son personnage, son acteur, pour le mettre encore plus en valeur. Ne manquant pas une seule miette de ses faits et gestes. Et pour vous convaincre de cette ressemblance avec The Big Lebowski, vous aurez déjà LA référence au début du long-métrage: le personnage de Bad Blake faisant son entrée dans un bowling. Un commencement qui annonce la couleur !
Vous l’aurez compris : Crazy Heart, c’est Jeff Bridges. Le film ne serait clairement rien sans lui, tout reposant sur sa prestation exceptionnelle et son rôle. Car, il faut bien l’avouer, Crazy Heart n’est pas spécialement un grand film. Un long-métrage dont l’histoire peine à démarrer avec un côté répétitif (une bonne petite heure où l’on suit le héros de concerts en concerts et de motels en motels, le voyant boire et se poser bien tranquillement) jusqu’à entrer dans le vif du sujet. Mais un sujet mille fois vues au cinéma : celui de la star déchue qui va voir venir la rédemption en l’amour avec une femme jugée hors du commun et l’écriture de chansons. Vous n’en tirerez rien de plus !
Encore une fois, si l’on s’accroche assez facilement à Crazy Heart, c’est grâce à Jeff Bridges qui rend l’ensemble grandement touchant (et ce début jusqu’à la fin). Et qui offre sa prestation vocale à la majorité des chansons écrites et composées spécialement pour le film. Une bande-originale magnifique (Oscar de la Meilleure chanson originale pour The Weary Kind) où l’acteur s’en donne à cœur joie, nous faisant découvrir ses talents de chanteurs. Emmenant qui plus est dans son sillage Colin Farrell, qui s’avère être lui aussi un très bon artiste musical. Si vous voulez un exemple, reportez-vous sur ce duo entre les deux comédiens : http://www.youtube.com/watch?v=8arzEWo13XA&list=RDRpSuCaA8ASg
Bref, Crazy Heart n’est pas un film qui sorte de l’ordinaire. N’ayant pas vraiment d’intérêt cinématographique. Si vous devez le voir, c’est pour Jeff Bridges, les chansons qui constituent la bande sonore et pour la mise en scène de Cooper. Car, si le réalisateur n’a pas choisi la plus complexe des histoires, il arrive cependant à la raconter et à la montrer avec assez de savoir-faire pour que l’on ne décroche à aucun moment du long-métrage. De quoi justifier cette bonne note !