En matière de cinéma, Alexander Mackendrik n’est pas un marin d’eau douce. Les clichés, les personnages stéréotypés et les scénarios manichéens, très peu pour lui. Le réalisateur de L’Homme au complet blanc (1951) et du Grand chantage (1955) n’aime rien tant que naviguer dans les eaux troubles de la psychologie humaine. Un cinéma sans concessions, qui fut injustement incompris et boudé. En 1965, il réalise pour les studios américains Cyclone à la Jamaïque adapté du roman éponyme de Richard Hugues. L’histoire de six enfants issus de la bourgeoisie britannique capturés par des pirates et contraints de cohabiter avec eux. Un rôle en or pour Anthony Quinn. Et l’occasion pour Mackendrick d’aborder l’un de ses sujets de prédilection : la complexité de l’enfance.
Un film d’aventure, oui mais…
La séquence d’ouverture qui met en scène la tempête tropicale donnant son titre au film est ébouriffante de réalisme. Tourné en décors naturels, à bord de navires plus vrais que nature, Cyclone à la Jamaïque compose avec la plupart des ingrédients attendus d’un film de pirates : gibiers de potence aux gueules patibulaires, perroquet des îles et branle bas de combat ! Pour autant, si action(s) il y a , nous sommes ici bien loin des canons hollywoodiens. Et le spectateur de découvrir au fil de l’histoire qu’il n’a pas affaire à un film de pirates très orthodoxe, en témoigne cet abordage sur le mode travesti ou ce capitaine voleur…de bonbons ! Car en réalité, ce ne sont ni les empoignades viriles, ni l’héroïsme qui intéressent Mackendrick. Non, ce qui obsède le réalisateur écossais depuis toujours, c’est le monde de l’enfance et son interaction avec celui des adultes. Ainsi, bien que le film présente les caractéristiques du genre – ce que tend à montrer la bande annonce – il en diffère à maints égards. A commencer par le traitement des personnages.
Pirates de pacotille
Dès le premier échange de regards entre le capitaine Chavez et Emily, la plus intrépide des six enfants, on comprend que les rôles vont être inversés. Et les codes sabordés. Avec Chavez, incarné par un Anthony Quinn parfait, Mackendrick installe un personnage à contre emploi, un pirate de pacotille. A l’instar d’autres durs au cœur tendre du cinéma- Long John Silver, Jeremy Fox – , Chavez ne sait comment composer avec ces gosses qui investissent son bateau. Et qui le privent en quelque sorte de son terrain de jeu. Car Chavez est à sa manière un gamin jouissant de sa toute puissance sur son navire. Mais face à l’inébranlable et intraitable petite Emily, son autorité pastiche se retrouve sans effet. Car l’enfant chez Mackendrick ne se réduit ni à l’ingénuité, ni à la passivité. Il manifeste autant de présence, de qualités ou de défauts que les adultes. Ni plus ni moins. Le film n’en est que plus déroutant.
Plus dure est la chute
Si les marmots prennent leurs quartiers à bord du navire, ils n’en restent pas moins ancrés dans leur classe sociale. Échappant à l’éducation stricte qui leur était promise en Angleterre, ils profitent sans vergogne d’une liberté inespérée. Mais ici, nulle dimension éducative à la Jules Verne. Mackendrick n’entend pas édulcorer les enjeux : les gosses, livrés à eux-mêmes, adoptent à leur tour des comportement de pirates, tant par opportunisme que par instinct. Et reprendront, l’aventure terminée, leurs réflexes de classe. Le film décline ainsi à plusieurs reprises, sur le mode vertical, l’image de la stratification sociale. Dans la demeure coloniale secouée par le cyclone, les propriétaires blancs se réfugient à l’étage tandis que les esclaves noirs occupent le sous-sol. L’organisation du navire obéit à cette même logique verticale, les prisonniers en bas, les pirates sur le pont, organisation spontanément contestée par les enfants. Du moins le temps que dure l’aventure, car rien n’est stable et définitif chez Mackendrick. Ainsi le film reprend-il en boucle l’image de la chute : celle du chat dans la première scène, du singe sur le bateau, de l’enfant lors de l’escale à Tampico ou de Chavez avec sa propre déchéance.
Un film plus sombre et mélancolique qu’il n’y parait qui, bien qu’amputé d’une vingtaine de minutes par les pirates de la censure, reste un trésor du cinéma d’aventure.
Critique publiée sur le Mag du Ciné