Rien ne destinait Danse avec les loups au succès qu’il rencontra, et à la petite postérité dont il jouit, le rangeant du côté des classiques tardifs de la mythologie hollywoodienne. Monté dans la douleur, envers et contre tous, à une époque où le western est totalement délaissé, le projet grandiose de Kevin Costner a tout du désastre annoncé.


Il faut évidemment du courage au bonhomme pour rejouer, au sortir des si cyniques et clinquantes années 80, la carte du classicisme et du lyrisme, dans une fable pro-indienne qui n’est certes pas la première du genre (Les Cheyennes de Ford datent de 64, et deux grands pavés dans la mare, Soldat Bleu et Little Big Man, ont ouvert la décennie suivante), mais va occasionner une piqûre de rappel que peu ont vu arriver.


Il y a finalement bien peu de western dans cette œuvre, qui s’ouvre sur le film de guerre avant de bifurquer vers une sorte de pastorale contemplative et ethnologique. La division est nette : la guerre civile a supplicié un pays désormais traumatisé, dont il n’y a plus rien à attendre. Pour le héros de guerre Dunbar, il s’agit de quitter la civilisation, pour un ailleurs qui ne cesse de bouger : « I wanted to see the frontier . Before it’s gone ». Désir prophétique, lorsqu’on sait qu’il va surtout rencontrer une civilisation elle-même vouée à l’extinction.


Aux blessures, aux suicides et au chaos du champ de bataille succède dont le lyrisme élégiaque de la Plaine, où l’on se délaisse du fardeau du monde avec l’illusoire et rassurante quête d’un fort qui serait un poste aux frontières du monde connu.


Costner prend son temps (particulièrement dans le dernier montage de son film, qui atteint pourtant sans douleur presque les 4 heures) pour assurer cette transition, filme la solitude et une quasi robinsonnade où il s’agit de reconstruire, d’assainir la présence de l’homme blanc dans un idéal écologique qui surprend autant dans le récit (1863) qu’à l’époque du tournage, où ces idées sont au stade du balbutiement dans la pensée collective. Tout prépare donc le militaire à la confrontation à l’autre monde : son rapport à la terre, aux animaux (son cheval, puis le fameux loup) et les premiers contacts avec les autochtones jouent habilement du folklore et d’un humour sur le choc des cultures.


Costner assume parfaitement son parti pris et le manichéisme de sa vision : son récit a pour vocation de servir la cause indienne. L’initiation de son personnage vise à découvrir une culture, à en accepter certains codes (sans édulcorer totalement certains points de désaccord, même si le lissage domine) et à s’immerger dans une civilisation trop méconnue du grand public. Le lyrisme épique donne à sa fresque un souffle salutaire, et permet l’équilibre entre ces destinées individuelles qu’il faut nécessaire incarner (le chef, le rival, la femme, les enfants…) et la grandeur du sujet. La fameuse scène de chasse aux bisons est ainsi un morceau de bravoure qui nous rappelle avec un plaisir très vintage ce que fut le cinéma analogique, et Costner gère parfaitement la mise en scène, toute en ampleur et découpage dynamique. De ce point de vue, la partition de John Barry est un modèle du genre, accompagnant ces plans d’ensemble d’un territoire vierge de mélodies imparables et grandioses, renouant là aussi avec une belle tradition de la bande originale.


Sur le modèle éprouvé de l’immersion qui fait oublier au spectateur le premier point du récit (à savoir que Dumbar est ici un colon représentant officiellement l’occupant), ressort narratif qu’on retrouve de Ruy Blas à Avatar, la fusion ultime de l’amour devient la veille d’un retour du refoulé. Une romance peu subtile, pour un couple qui, quel que soit son désir d’intégration, reste clairement un modèle des 80’s finissantes, et révèle des talents de comédiens un peu limités pour l’acteur/réalisateur. S’en suit un scénario un peu plus automatique, où le retour au fort grossit le trait pour achever une dénonciation qui n’en demandait pas tant : les blancs sont des ordures, on se torche avec son journal, et on dénie tout ce qu’il a pu vivre jusqu’alors. La vengeance par l’attaque des indiens sonne ainsi comme une revanche assez immature et un peu vaine et remet le film dans les rails du formatage hollywoodien, sans pour autant occulter, et heureusement, la réelle destinée de ce peuple. Au terme d’une épopée réellement émouvante, seul véritable ressort à grande échelle pour dénoncer et éduquer les masses, la tribu finit par littéralement se dissoudre dans un décor, générique de fin assez terrible où le territoire l’avale et le repousse toujours plus loin d’un monde voué à évoluer sans lui.

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le 15 nov. 2019

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Sergent_Pepper

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