Je ne sais pas qui on est, chacun de nous

La première partie de Dark City est exceptionnelle. Ce mélange de film noir et de fantastique débridé en fait une œuvre unique.
J'apprécie particulièrement son aspect « film noir ». La trame de base n'est pas sans rappeler quelques classiques du genre : l'amnésique qui cherche à retrouver son identité et qui parcourt la ville, doutant de tout et de tout le monde, y compris lui-même. L'enquête, qui se concentre d'abord sur lui-même. La quête de souvenirs.
Cette quête est d'autant plus importante qu'elle prend un aspect moral. En retrouvant ses esprits dans sa chambre d'hôtel, Murdoch découvre aussi... le cadavre d'une femme. Et, en une très belle scène, Murdoch lui-même teste les limites de sa morale. « Il est à la recherche de lui-même », dira le mystérieux docteur : une recherche qui ne se limite pas à des souvenirs.
Tous les personnages habituels du film noir se retrouvent ici. Le flic désabusé, avec imper et chapeau (excellent William Hurt, sobre et totalement crédible). La femme dont on ne sait pas si elle est victime ou fatale (magnifique Jennifer Connelly).
Le décor est aussi celui du genre. La ville, sombre comme l'indique le titre, constamment plongée dans une ambiance nocturne propice à la fois à la mélancolie et au danger, avec ses lieux glauques, ses ruelles humides, ses cabarets. Une ville qui est un des personnages principaux du film, et dont l'aspect évoque l'expressionnisme (faut-il y voir un hommage à Metropolis ? Parfois j'ai cru en retrouver les décors).
Ce côté « film noir » est pour moi la plus grande réussite du film. L'histoire reste énigmatique, la situation de Murdoch paraît toujours cauchemardesque, et personne ne semble apte à lui apporter des réponses.


L'une des originalités de Dark City consiste à associer à ce film noir un côté fantastique très imaginatif. Loin de s'opposer, les deux aspects se complète grâce à un scénario très travaillé et à une grande unité visuelle.
Et pour ne rien gâcher, le scénario se permet de développer une réflexion très intelligente sur les souvenirs, leur rôle dans la constitution de notre personnalité. Sans souvenirs, une personne est manipulable à souhait. Les souvenirs permettent aussi de donner un sens à l'existence, de la sortir de son absurdité.
Parce que c'est bel et bien un certain sens de l'absurde qui règne dans ce film sans souvenirs. Absurdité d'une ville qui n'a pas de sortie (l'image du labyrinthe envahit complètement le film). Absurdité de ce Shell beach transformé en une sorte de paradis inatteignable, objet ultime de la quête. Absurdité de ces vies toujours incomplètes car constamment recommencées. Absurdité d'être à la merci de personnages sombres et vicieux. C'est en comprenant cette absurdité que Walenski est devenu fou.
Mais est-ce que les souvenirs constituent entièrement la personnalité ? « Sommes-nous autre chose que la somme de nos souvenirs ? » demandera le docteur (décidément personnage fascinant et superbement interprété par Kiefer Sutherland, qui le rend à la fois fragile et angoissant, toujours ambigu).
Les souvenirs ne font pas que sauver les personnages perdus dans les ténèbres. Ils sont aussi un des constituants d'un film qui s'amuse à rendre de nombreux hommages cinéphiliques.


Hélas, le film doit finir. C'est presque dommage, tant j'ai aimé me perdre dans cette ville et dans ces énigmes. C'est surtout très dommage puisque la fin est le gros point faible du film.


La ville n'est donc qu'un vaisseau dérivant dans l'espace ?
Et ce combat final, n'est-il pas bâclé ? N'est -il pas la preuve qu'on ne savait plus trop comment mettre fin à ce très beau film ?


C'est grandement dommage qu'une œuvre qui parvient à fasciner pendant une heure et demi se termine sur une note aussi négative. Certes, la scène finale relève un peu le niveau, mais l'impression globale est gâchée.
A noter, pour conclure, la superbe musique de Trevor Jones.

SanFelice
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le 13 févr. 2016

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SanFelice

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