The air is on fire
Il est là, cinéaste-monstre dans son atelier-monde sur les hauteurs d’Hollywood, pas loin de Mulholland Drive qui serpente en secret, quelque part alentour. Il est là avec sa tignasse blanche...
Par
le 10 févr. 2017
25 j'aime
4
Documentaire de Olivia Neergaard-Holm, Jon Nguyen et Rick Barnes (2017)
The Art Life n’est pas tant le portrait de Lynch cinéaste que de l’artiste, et particulièrement de l’artiste en devenir. Le documentaire navigue sur deux périodes : un récit rétrospectif autobiographique, prononcé par Lynch lui-même face à un micro, et apparemment sans interlocuteur, sous la forme d’une confession mémorielle qui s’étend de son enfance à son premier tournage du mythique Erasherhead ; et, pour ce qui est des images, le quotidien du travail du Lynch plasticien, dans son atelier, parfois en compagnie de sa toute jeune fille. Le son du souvenir se superpose ainsi à un work in progress, entre en écho avec lui et apporte, sinon des clés de lecture, au moins quelques pistes de réflexion.
La forme même du documentaire est séduisante et laisse au charisme majeur du personnage sa grande part de mystère. Lynch raconte plus qu’il n’explique, et le fait de cette inimitable voix flûtée et nasillarde que les spectateurs de Twin Peaks et fans de Gordon Cole connaissent bien.
Au gré de son parcours, on voit émerger un personnage un peu atypique mais qui n’a jamais véritablement cherché la singularité : Lynch révéle surtout une sensibilité profonde et une curiosité pour la vibration du monde, au point de visiter des morgues ou laisser, dans un but d’observation, pourrir différents éléments dans sa cave. Le jour où il montre, avec une certaine émotion ses expériences à son père, celui-ci lui conseille de ne jamais avoir d’enfants… Alors que sa petite amie, sans qu’il le sache encore, est déjà enceinte.
The Art Life n’est pas particulièrement riche en révélations, et procède davantage par immersion : son insistance, par exemple, sur les différents lieux qu’il a traversés, les maisons qu’il a habitées permet de prendre la mesure de ses expériences de témoin hypersensible, et de comprendre la manière dont il arrive, dans son cinéma, à faire à ce point vibrer les lieux. La description anxiogène qu’il fait de la traversée du pont le menant à Philadelphie, ou la façon dont il suspend un souvenir trop atroce donnent accès à un élément très rare dans les propos des créateurs : une sincérité sans filtre, un partage d’émotion, et non une déclaration théorique d’intention.
Ce parti-pris se révèle aussi fécond dans cette superposition apparemment arbitraire entre l’image et le son : voir Lynch peindre, tenter, jeter, travailler l’ébénisterie et longuement fumer en réfléchissant, entrevoir une immense variété de ses œuvres ainsi que des extraits de ses premiers courts-métrages ne nous explique pas ce qu’il fait, mais bien l’état d’esprit dans lequel il le réalise.
Et c’est là la réussite de ce documentaire : donner la parole à un créateur pour qu’il puisse exprimer ce qui fait son élan. De Lynch, on apprend qu’il est à l’écoute, que son enthousiasme est constant, et qu’il a une gratitude immense d’avoir pu aller si loin dans son art.
Autant d’aveux qui ne peuvent que favoriser un retour tout aussi enthousiaste à son univers.
Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Documentaire, vu en 2017, Les meilleurs documentaires sur le cinéma, CCMD # 34 : David Lynch et CCMD #53 : Le cinéma documentaire
Créée
le 6 déc. 2017
Critique lue 704 fois
31 j'aime
2 commentaires
D'autres avis sur David Lynch : The Art Life
Il est là, cinéaste-monstre dans son atelier-monde sur les hauteurs d’Hollywood, pas loin de Mulholland Drive qui serpente en secret, quelque part alentour. Il est là avec sa tignasse blanche...
Par
le 10 févr. 2017
25 j'aime
4
David Lynch est un monstre du cinéma. Alors que les films du réalisateur ne cessent de matérialiser les démons intérieurs de ses personnages aussi déviants qu’attachants, le documentaire qu’est David...
Par
le 17 juil. 2017
20 j'aime
4
David Lynch le peintre laisse entrevoir quelques éléments d'explication sur David Lynch le réalisateur : c'est par une série de chemins de traverse qu'un univers en éclaire un autre. On connaît Lynch...
Par
le 28 juin 2017
12 j'aime
Du même critique
Cantine d’EuropaCorp, dans la file le long du buffet à volonté. Et donc, il prend sa bagnole, se venge et les descend tous. - D’accord, Luc. Je lance la production. On a de toute façon l’accord...
le 6 déc. 2014
773 j'aime
107
Il y a là un savoureux paradoxe : le film le plus attendu de l’année, pierre angulaire de la production 2019 et climax du dernier Festival de Cannes, est un chant nostalgique d’une singulière...
le 14 août 2019
714 j'aime
55
La lumière qui baigne la majorité des plans de Her est rassurante. Les intérieurs sont clairs, les dégagements spacieux. Les écrans vastes et discrets, intégrés dans un mobilier pastel. Plus de...
le 30 mars 2014
616 j'aime
53