La bête immonde n'a rien dans le ventre

En 1999, Jason Moss raconte sa correspondance et son unique entrevue avec John Wayne Gacy dans The Last Victim. Cet étudiant est entré en contact à 18 ans avec plusieurs tueurs en séries pour les besoins de sa thèse. Il a noué des relations plus profondes avec Gacy, reconnu coupable des meurtres d'une trentaine de jeunes hommes, souvent homosexuels. Dear Mr Gacy, film canadien dirigé par Svetozar Ristovski, se concentre sur cette relation et évacue les autres prises de contact de Jason Moss. C'est un produit ambitieux et foncièrement raté.


Dear Mr Gacy se fonde sur des éléments réels mais est incapable de les ordonner clairement. Il n'en tire qu'une allure de docu-fiction dégingandé/désarticulé servi par des effets vulgaires (les flashbacks éclairs de scènes de crimes). Stylistiquement c'est très laid, pas comme Henry portrait of a serial killer (souvent tenu comme le plongeon le plus réaliste dans l'intimité d'un tueur de cette catégorie), plutôt comme un de ces programmes racoleurs et assez pauvres compilant images d'archives, interviews idiotes et reconstitutions clipesques à la sauvette. Il ne manque que la bande-son pleine de phrases creuses : Jason Moss s'en charge, pour tirer une leçon sur ces personnages sournois que sont les serial killer. Ils jouent avec vous jusqu'à vous détruire, car vous ne sauriez leur échapper quand bien même vous avez cru leur tendre un piège. Magnifique conclusion permettant de mettre en relief le potentiel que ce Dear Mr Gacy n'est pas en mesure de sonder, pas plus que le Jason Moss du film. Les diagnostics psys sont comme le reste, à un niveau primaire de teen-movie arrogant et pincé.


Il faut attendre la perspective d'une rencontre en chair et en os avec Gacy pour sortir de cet espèce de brouillard dont émergent quelques passes anecdotiques plus ou moins valables, comme cette séquence avec le prostitué où l'étudiant fait la démonstration de sa consternante naïveté. Dans la seconde partie donc, le film ne s'éparpille plus et fait monter la sauce entre Jason et Gacy. Le monstre détraque son nouvel ami (le dernier) et le pousse à la perversion, en lui suggérant de coucher avec son propre frère par exemple ; comme s'il suffisait de salir pour que l'immonde soit consommé, Gacy décide que Jason a suivi son ordre. Le tueur révèle toutes ses facettes, abattant ses cartes en accéléré. Les motivations et l'emprise de Gacy sont mises en relief avec intensité, à défaut de nuances. Gacy est 'quelqu'un' et n'est pas un fou : c'est un dominateur excentrique. Il est sans surprise concernant ses troubles et ses ambiguïtés, explicites à un point obscène ; en même temps, il est imprévisible car il ment et manipule ouvertement. Son confident ne peut savoir à quoi s'en tenir, tant concernant leur relation qu'à propos de Gacy lui-même. À certains moments il accepte indirectement son homosexualité, à d'autres il n'en fait plus qu'un instrument, parfois il la dénie carrément ou la projette.


En ce sens, l'oeuvre est en accord parfait avec le Gacy véritablement connu et expose son obsession de la vitrine sociale. Elle le rend néanmoins plus raffiné dans son aspect qu'il ne l'était, en faisant presque à certains moments une espèce de Divine déguisée en Hannibal Lecter. C'est d'ailleurs une perspective intéressante pour refléter l'interaction subjective du personnage avec l'extérieur, mais en excluant toute bonhomie ce Dr Mr Gacy s'écarte trop de son sujet. Le film Gacy, sorti sept ans plus tôt (2003) et écopant de critiques bien plus désastreuses que cet opus, prend une perspective très pertinente, en montrant un Gacy sale et dérangé à l'opposé de son image publique, mais beaucoup plus cohérent avec le véritable John. Il y a, dans les dialogues, des ébauches intelligentes, des réflexions lucides, puis de l'initiative. Mais globalement ce Dear Mr Gacy n'arrive pas à attaquer son sujet en profondeur et barbote dans la médiocrité, tout en finissant par être divertissant. Les deux acteurs principaux sont très bons, mais très seuls.


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Zogarok

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