Quatre potes de Chicago s'en vont en escapade en Géorgie l'espace d'un week-end, descendre à canoé une rivière turbulente dont la nature brute sera d'ici peu submergée par les flots, consécutivement à la construction d'un barrage en aval. Communion avec la nature pour les uns, balade entre potes pour les autres, c'est une toute autre aventure qui attendra nos citadins en quête de sensations fortes (ils en auront)... Je n'en dirai pas plus.
Il y a du Peckinpah dans ce Boorman : la violence soudaine et gratuite des hommes (la scène dans laquelle Bobby fait la truie avant de se faire violer est à la limite du supportable, en tout cas moi je l'ai trouvé insoutenable) et la présentation sous un jour poisseux, amoral, incestueux des locaux n'est évidemment pas sans rappeler sinon une bonne moitié de la filmo de "Bloody Sam", du moins quelques-uns de ces grands films (The Wild Bunch et Bring Me the Head of Alfredo Garcia notamment). Avant d'attaquer la partie "analytique" de la critique, je tiens à dire que je n'ai pas été déçu par le film malgré mon appréhension (j'en entends dire tellement du bien) car il s'avère thématiquement très riche. Ajoutées à cela la mise en scène au cordeau de Boorman et les interprétations excellentes de ses acteurs (Voight n'en finit décidément pas de m'impressionner, quel acteur il était, quelles nuances dans son jeu, quelle folie l'habite...).
La lutte est au cœur du film. La lutte de l'Homme contre la Nature évidemment. Sauvage, neutre, impitoyable, elle fait "payer" à l'Homme technicien, toujours dans sa parfaite neutralité, son tribu pour vouloir la dompter en construisant un barrage. Neutre, certes, mais toujours sujette aux aléas des marées et des tempêtes : le tissu de mensonges sur lequel repose la version des rescapés ne tient qu'au bon vouloir des eaux du lacs. Neutre je vous disais. Lutte de l'Homme contre l'Homme également avec en filigrane celle de l'homme moderne contre le redneck, de la technologie contre la tradition. Sur ce point, Boorman a choisi son camp : aucun. Et ne pas choisir l'homme civilisé à l'homme dégénéré est en soi une sacré prise de position. Le duel de banjos est suffisamment clair : aussi crasseux, attardé et malformé soit-il le gamin est un vrai crack du banjo. Et si éduqué, instruit et généreux qu'il soit, le citadin n'atteint pas la cheville du petit dans le maniement de la corde...
La dernière lutte que présente le film est philosophique, idéologique et personnelle. Elle met aux prises les lois de la nature (la loi du plus fort quoi) et celle de l'Homme et de sa société. L'animal initial qu'était l'homme aurait crée ses propres lois pour s'affranchir de sa condition animalière, s'émanciper des aléas de la nature, de sa violence inhérente et de son imprévisibilité terrifiante et ainsi s'octroyer un peu de confort et de sécurité. Si Paul D. MacLean avait vu le film (il l'a peut-être vu d'ailleurs) il aurait dit : Délivrance suit l'ontogenèse. Au cerveau reptilien, primitif, inné, cocon de l'instinct de survie, succèderait le cerveau humain (néocortex ou néopallium toujours d'après ce cher Paul), raisonnable et logique. L'un et l'autre semble pourtant co-exister pour Boorman. Mais face à la nécessité et à l'imminence du danger, l'instinct de conservation prévaudrait sur la raison pure. Aux diables les lois de l'Homme, donc, et à pieds joints dans la Nature. Pratique quand on vient de se rendre coupable d'un meurtre... Pratique mais à double tranchant. Car la conscience humaine est à ce point compliante qu'elle recèle, enfouie dans ses profondeurs, de noires craintes facilement mobilisables. Et dés lors leurs derniers soupçons d'humanité consumés et balayés d'un revers de la main, c'est bien dans la peur et la paranoïa que nos rescapés vivront. Comme des bêtes traqués par plus fort qu'elles. Des bêtes soumises à une instance supérieure. Ils ne sont plus au sommet de la chaine alimentaire désormais, ils le savent bien. Ils ont abandonné ce privilège à la Nature.
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