Demain
7.4
Demain

Documentaire de Cyril Dion et Mélanie Laurent (2015)

On est beau, on est gentil, on fait des bisous et on répète encore les mêmes conneries...

Je serais tenté de faire une critique qui tient en une phrase : Sans la mondialisation capitaliste et uniquement avec des produits locaux, ce film n'existerait pas. End of the story.


Il s'agit d'un tel ramassis de bêtises que je ne sais par où commencer. D'abord, on m'a trompé sur son contenu. Je craignais qu'il s'agisse d'un énième appel à l'éco-fascisme, on m'a rassuré en me le présentant comme un film qui se contente des montrer des exemples d'initiatives personnelles écologiques, du moins c'est ce que j'avais compris. Et j'y ai cru. En fait, il s'agit bel et bien d'un énième appel à l'éco-fascisme.


La plupart des dites "initiatives" sont faites avec de l'argent publique, en d'autres termes, imposées par la force physique aux gens. De plus, à partir du chapitre 4, le film prend une tournure de plus en plus politique et prend bien évidemment le parti de l'anticapitalisme. C'est par les lois, donc par la force, qu'on va imposer le meilleur des mondes. Ce qui signifie que tout le discours qui consistait à parler de liberté et de responsabilité, de laisser les gens s'organiser de façon autonome, c'était bien du pipeau. Ce qui m'avait mis la puce à l'oreille c'est lorsqu'au bout de la première demi-heure, le réalisateur se demande ce qui empêche les gouvernements de faire émerger un "système alternatif". Or que je sache, l'État n'est pas autre chose qu'un instrument de contrainte par la force physique. Toute mesure gouvernementale de quelque nature qu'elle soit signifie : Si vous agissez autrement, on vous envoie la police. Qu'arrivera t-il aux dissidents qui refusent de se plier à leur agenda ?


Mais reprenons depuis le début. Le postulat de départ du film, c'est la mystique poussiéreuse de la fin programmée de l'humanité. Elle est pour dans vingt ans. Comment ça de la mystique ? Mais non enfin : ce sont des "experts" qui le disent. D'ailleurs, durant tout le film on évoquera "les experts", "les scientifiques" qui disent que. Sauf que les dits experts, ce sont en fait exclusivement les gens qui pensent comme eux. Il y a des tas d'autres experts et d'autres scientifiques qui vous tiendrons un tout autre discours. Et la mystique de la fin du monde qui est pour demain, c'est une vieille antienne écologiste qui date au moins des années 60 et qui a toujours été démentie par les faits. Les prédictions catastrophistes de ce type, il y en a eu des quantités industrielles, toutes fausses.


On pourrait à cet égard multiplier les exemples tant ils sont nombreux. En voici un échantillon assez rigolo.


En janvier 1970, on lisait dans le magazine Life :



Les scientifiques disposent de preuves solides fondées sur l’expérience et la théorie étayant […] les prévisions suivantes : dans une décennie, la pollution atmosphérique contraindra les citadins à porter des masques à gaz […]. En 1985, la pollution atmosphérique aura réduit de moitié la quantité de lumière solaire atteignant la Terre...



La même année, George Wald, biologiste de Harvard (un type forcément rationnel, donc) tenait les propos suivants :



La civilisation disparaîtra d’ici quinze ou trente ans si l’on ne prend pas immédiatement des mesures pour faire face aux problèmes qui se posent à l’humanité.



Toujours en 1970, le fameux biologiste Paul R. Ehrlich (longtemps l'écologiste le plus connu au monde, un champion des prédictions erronés) :



Le taux de mortalité progressera jusqu’à ce qu’au moins 100 à 200 millions de gens meurent de faim chaque année au cours de la prochaine décennie.



Ou encore :



Si j'étais joueur, je parierais même de l'argent que l'Angleterre n'existera plus en l'an 2000.



Le même Ehrlich avait aussi prévu qu'au cours des années 80, quelque 4 milliards d’individus, dont 65 millions d’Américains, périraient de cette "grande hécatombe" dût à la surpopulation. C'est encore plus drôle lorsqu'on sait qu'au IIe siècle de notre ère, Tertullien tenait déjà un discours très proche, alors que la population avoisinait les 200 millions d'habitants.


Toujours à la même époque, l'écologiste Kenneth Watt, dans un discours au Swarthmore College :



Cela fait une vingtaine d’années que la planète est en train de se refroidir considérablement. Si la tendance actuelle se poursuit, la température moyenne du globe aura perdu quelque 4 degrés en 1990, et 11 en 2000. C’est environ deux fois plus qu’il n’en faudrait pour nous faire entrer dans une ère glaciaire.



C'est aussi dans les années 70 qu'on publia un célèbre rapport intitulé The Limits To Growth à l'origine du mouvement de la décroissance. Il prévoyait la fin de l'or pour 1981, la fin de l'argent et du mercure pour 1985, la fin du zinc pour 1990, la fin du pétrole pour 1992 et la fin du gaz naturel pour 1993.


En 1986, celui qui sera plus tard le conseiller environnemental d'Obama, le physicien John Holdren, prévoyait qu'avant l'année 2020, un milliard d'être humains mourraient de famine à cause de l'augmentation du CO2.


Autre exemple assez comique, plus récent, une "étude" de 2005 :



Le baril de pétrole pourrait en effet coûter 380 dollars dans dix ans, soit près de huit fois plus qu'aujourd'hui, selon les économistes Patrick Artus et Moncef Kaabi. Dans une étude de la banque Ixis-CIB, les auteurs jugent « totalement déraisonnables » les hypothèses selon lesquelles le prix du baril de brut pourrait revenir entre 30 et 40 dollars d'ici à 2015. Leur base de calcul : l'évolution actuelle de la consommation mondiale de pétrole.



Pour ceux qui l'ignorent, en 2015, le baril était bien à 30 dollars. À l'heure où j'écris ces lignes, il est à 46 dollars, c'est-à-dire un peu moins cher qu'en 2005.


Al Gore en 2008 (qui ne faisait au fond que reprendre des "études" dont avait parlé la BBC un an plus tôt) :



...the entire North ‘polarized’ cap will disappear in five years.



Quatre ans plus tard en 2012, on a refait la même prédiction : la banquise devait disparaître totalement en 2015 ou 2016, selon Peter Wadhams, physicien des océans de l'université de Cambridge, graphiques et modélisations à l'appui :



On se dirige vers un effondrement, qui devrait survenir en 2015 ou 2016, et qui verra l'Arctique libre de glace durant les mois d'août et de septembre. C'est une catastrophe mondiale.



On aurait même pu citer l'ancêtre de tous ces gens là, à savoir Thomas Malthus, dont toutes les prédictions se sont avérées être erronées.


Revenons au film où on retrouve les habituels...poncifs ? préjugés ? erreurs ? mensonges ? conneries ? attrape-gogo ? j'ignore quel est le terme le plus approprié. Le film balance ici et là des tas d'assertions qu'il ne cherche pas à prouver, puisqu'ils les considèrent comme acquises. Comme par exemple "on rase les forêts" (alors que dans les faits, on assiste à une reforestation) ; "les OGM rendent malades" (alors que dans les faits leur inocuité a été prouvé maintes fois) ; "on va manquer d'eau" (alors que dans les faits, l'eau qu'on utilise est recyclée) ; "les ressources vont s'épuiser" (alors que dans les faits, c'est impossible à cause du mécanisme des prix et grâce au progrès technologique) ; "la surpopulation est un problème" (alors que c'est un vieux mythe) ; etc.


Mais l'idée principale du film, c'est le local. Produire et consommer localement. Ce qu'on explique jamais, c'est que consommer local, c'est favoriser le gâchis de ressources. On n'arrive pas à comprendre le principe de la division du travail, à savoir que le commerce international fait que les biens sont produits là où les coûts sont les plus bas et donc favorise une utilisation efficace des ressources. On produit là où on a le moins besoin d'impacter sur l'environnement : Il est par exemple préférable, pour un pays au climat froid, comme la Suède, d'importer la viande de pays au climat plus chaud, au lieu d'utiliser des ressources pour produire de la nourriture concentrée et chauffer les étables. (Vous aurez remarqué en passant que l'on ne vous montre durant tout le film que des images de belle saison.) Favoriser le local signifie multiplier les lieux de production, donc on a besoin de d'avantage de moyens de productions : outils, machines, matériaux, électricité, chauffage, etc. sans pour autant avoir une plus grande production... c'est ce qu'on appelle du gâchis.


Même concernant le bilan carbone il faut se méfier : En 2013, le Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGDD) publiait une étude montrant que le local ne fait pas de différence sur le bilan carbone, et l'Agence de l'Environnement et de la Maîtrise de l'Energie (ADEME) disait déjà aussi cela en 2012. On rappellera en outre quelques faits élémentaires à ce sujet :



On convoque parfois le volet social en faveur du local, mais plus il y a de productions locales, plus le marché pour chacune d'entre elle est réduit, donc plus cela met tout le monde en difficulté financière. Ainsi, cela force chacun à travailler davantage pour un résultat identique ou moindre. Dit autrement, ça augmente les prix. Dit autrement, ça appauvrit tout le monde.


Pousser l'idée du local jusqu'à sa dernière conséquence logique implique de revenir à l'âge de pierre car cela revient à supprimer la division du travail : chacun produisant uniquement pour lui-même, en échangeant le moins possible. Y compris les outils. Y compris les outils avec lesquels il a fait les outils, et ainsi de suite. Or c'est tout simplement impossible. En 2010, le designer Thomas Thwaites a tenté de fabriquer un simple grille pain en se servant le moins possible des avantages de la division du travail. Je dis bien "le moins possible" car n'en bénéficier en aucune manière est, je le répète, impossible. Il n'a pas fabriqué lui-même un très grand nombre d'outils dont il s'est pourtant servi, ne serait-ce que ses chaussures par exemple. Au bout de neuf mois, il est parvenu à ce truc ignoble qui a grillé au bout de quelques minutes.


La citation de Douglas Adams qui avait inspiré son projet :



Left to his own devices he couldn’t build a toaster. He could just about make a sandwich and that was it.



Cette citation est en deça de la vérité. En 2015, le youtubeur Andy George s'est amusé à tenter une expérience analogue à celle de Thomas Thwaites en réalisant un simple sandwich. Cela lui a pris six mois et lui a coûté l'équivalent de 1500 dollars.


Bref, il faut comprendre que les choses les plus simples, que nous prenons pour acquises ne peuvent exister que grâce à la division internationale du travail (et accessoirement grâce aux combustibles fossiles pour beaucoup d'entre elles). C'est d'ailleurs ce que l'économiste Leonard Read avait éloquemment montré dans son célèbre article de 1958 : Moi, le crayon.


Toutefois ce qui précède est peut-être une démonstration inutile, car il semblerait que l'âge de pierre convienne parfaitement aux réalisateurs de Demain : Après tout, on y voit Pierre Rhabi nous exhorter très sérieusement et très explicitement à adopter un mode de vie animal.


Toute la partie économico-politique est d'une naïveté confondante. On voit les réalisateurs découvrir la lune en apprenant le principe de la monnaie fiduciaire. On les voit réinventer ingénument le rousseauisme. On nous fait l'éloge des plans quinquennaux (Ça ne vous rappelle rien ?). On nous dit que les monnaies locales sont plus résilientes, mais on ne sait pas pourquoi (J'aimerais qu'on m'explique là...). On interviewe pas n'importe quels économistes bien sûr, mais des qui ont travaillé avec le prix nobel Paul Krugman, attention ! (Le mec qui appelait au gonflement de la bulle immobilière juste avant que celle-ci n'éclate.)


Sinon, à chaque fois qu'on parle de "gratuité" dans le film, on veut dire (mais on oublie de le dire) : financé par l'impôt, c'est-à-dire pris par la force physique à quelqu'un pour quelqu'un d'autre. Décrire objectivement la réalité violente de cette soi-disant gratuité ne cadrerait pas avec l'atmosphère enchantée du film. On déshabille Pierre pour habiller Paul et on fait croire que les vêtements sont apparus comme par magie, probablement au pied d'un arc-en-ciel.


À la fin, on nous vante le modèle éducatif finlandais, qui est pourtant déjà archi-connu et qui a d'ailleurs beaucoup été remis en question. Il faudrait quand même que les réalisateurs se mettent un peu à la page et apprennent que le modèle finlandais c'est déjà ce que l'Éducation Nationale essaie de copier depuis vingt ans, avec les résultats que l'on connaît.


Durant tout le film, on entend bien évidemment qu'un seul son de cloche et on vous fait croire qu'il n'en existe aucun autre. C'est dit très explicitement (vers 1h21 environ, je l'ai noté) aucune contestation n'existe :



C'est très difficile d'être en désaccord. Ça soutient les entreprises locales et ça limite l'évasion fiscale. Est ce qu'il y a quelqu'un qui n'est pas d'accord avec ça ?



Avec la petite reprise de Everybody knows qui va bien.


Quand je regarde un documentaire sur ce genre de sujet, j'ai l'impression de revoir toujours le même film. C'est toujours les mêmes présupposés, la même démagogie... Si l'on est sincèrement inquiet pour l'avenir de la planète, on va sérieusement chercher des données et s'informer à partir de sources contradictoires (honnêteté intellectuelle de base) plutôt que de perdre son temps à regarder des films de propagande qui cherchent plus à faire vibrer la corde sensible et à vous enrôler dans une idéologie qu'à vous informer ou à vous faire réfléchir.


Et vive la grosse industrie, vive le capitalisme mondialisé, vive le nucléaire et vive les combustibles fossiles !

gio
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le 28 août 2017

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