Réalisé en 1955, et unique film du réalisateur John Parker, ****Dementia **(**Daughter of Horror) porte bien son titre car c’est, on peut le dire, un film démentiel. Tant sur la forme, déconcertante, qu’au niveau de l’histoire qu’on aurait bien de la peine à résumer. Ce moyen métrage (54 min) aussi étrange que fascinant vient d’être réédité dans une version magnifiquement restaurée. L’occasion de découvrir cette pépite longtemps censurée qui préfigure, avec quatre décennies d’avance, le cinéma de David Lynch.
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Noir c’est noir
*Dementia *s’inscrit d’emblée dans l’univers du film noir : une petite ville américaine, ses grands boulevards et ses ruelles mal famées plongées dans la nuit. Dès le premier plan, la caméra s’approche de la fenêtre d’une chambre d’hôtel. On y découvre une jeune femme, seule, endormie. Agitée, elle semble en proie à un cauchemar. Mais à son réveil, le cauchemar continue… La suite est difficilement racontable tant le scénario enchaîne les surprises. John Parker embarque son spectateur dans une virée nocturne totalement hallucinée et hallucinatoire où différents degrés de réel vont se mélanger. Comme dans cette scène toute freudienne du cimetière, où les morts rejouent leurs derniers instants. De fait, le fantastique n’est jamais très loin.
Personnages singuliers
La galerie de personnages qui peuple le film vaut à elle seule le détour. Des figures qui semblent tout droit sorties des films d’horreur des années 20. On pense notamment à Freaks de Tod Browning ou M le Maudit de Fritz Lang pour les caractères torturés. Ou encore au Cabinet du Docteur Caligari pour le traitement expressionniste des espaces. Des personnages que le rythme effréné du récit ne permet pas d’approfondir mais qui ont tous quelque chose de singulier : le souteneur séduisant mais démoniaque, le millionnaire débonnaire et porcin incarné par Bruno Ve Sota, ou encore la troublante Adrienne Barrett dans le rôle de la jeune femme. Anecdote étonnante : cette Adrienne Barrett s’est ‘improvisée actrice pour ce film, elle était en réalité la secrétaire de John Parker. C’est à partir d’un cauchemar qu’elle lui a raconté qu’il a écrit son scénario.
Bande son hallucinatoire
La caractéristique la plus marquante du film est sans aucun doute sa bande son. Principale surprise, le film est sans aucune parole. Il n’est pas muet non plus puisque bruits et rires sont audibles, ayant même été accentués en post-production. Par ailleurs, une partition musicale déroutante signée du compositeur avant-gardiste George Antheil accompagne le film. Une ambiance sonore hallucinatoire qui laisse place par moment à davantage de réalisme comme dans la scène frénétique du Night Club où se produit le groupe Shorty Rogers and His Giants. Plus qu’un film, une expérience sensitive et intellectuelle. A ne pas manquer.
8.5/10 ++
Critique à retrouver sur le MagduCiné