Ce qui me fait vibrer dans ma passion pour le cinéma, c'est lorsque je tombe de nouveau amoureux d'un réalisateur. Comme dans la vie, ça n'arrive pas souvent mais lorsque c'est le cas, mon cœur explose. Avec Guédiguian, on était pourtant bien loin du coup de foudre. Quand j'étais petit, Marius et Jeanette était annoncé sur TF1. La bande annonce m'avait donné l'impression d'un film moite, avec des personnes que je trouvais laides et qui faisaient l'amour dans une chaleur étouffante. Cela me dégoutait et m'avait éloigné de ce cinéma. J'ai souvent été con (et je continue d'ailleurs) mais là, c'était royal. Ces à priori imbéciles m'avaient éloigné de mon futur amour.


J'ai découvert Guédiguian en écoutant l'émission de radio Secrets de tournage sur Europe 1, animée par Bruno Cras qui invitait à chaque numéro un réalisateur pour évoquer l'un de ses films cultes. J'écoutais donc celui consacré à Marius et Jeannette et je découvris alors un homme avec voix ténébreuse, un chantant accent marseillais et un discours passionné, humaniste, engagé, qui m'a aussitôt subjugué. Les extraits audio du film m'avaient également beaucoup séduit. Cette verve, l'énergie des comediens, leur vis comica... Cet homme qui a grandit dans un quartier de Marseille, l'Estaque, puis qui a décidé de devenir cinéaste pour le filmer quarante ans durant avec toujours les mêmes comédiens (dont sa femme et son meilleur ami d'enfance) me l'a rendu éminemment sympathique et a piqué ma curiosité au plus haut point.


J'ai découvert Bel été après en avoir vu plusieurs dans le désordre (j'ai commencé par Marius et Jeannette qui fait désormais parti de mes films préférés avec La Ville est tranquille, Grâce à une rétrospective sur mycanal). Ces premiers flirts étaient délicieux, tous ses films m'ont transporté, envoûté... J'ai donc décidé de poursuivre nos rendez-vous et c'est dans le Gibert Joseph d'Évreux que je suis tombé sur un vieux coffret Guédiguian sorti au début de notre millénaire par Arte video. C'est ainsi que j'ai pu découvrir, à menu frais et avec émerveillement, Dernier été, le premier film de mon nouvel amour.


L'apprécier fut comme découvrir les photos de jeunesse de son âme-soeur. La curiosité, l'amusement et l'étonnement que je ressentis s'embrassèrent alors avec fougue et tendresse. On recouvre ici en germe tout ce qui constituera la substantifique moelle du cinéma de Guédiguian. Ses acteurs fétiches tout d'abord : sa femme Anne Ascaride (quasiment la seule actrice professionnelle du tournage) et son ami d'enfance Gérard Meylan. Deux piliers de son œuvre, avec qui il tourne encore en ce moment-même et toujours dans les rôles principaux, 40 ans après. N'est-ce pas magnifique ? Mais d'ailleurs, comment ai-je pu ne pas les apprécier étant petit ? Je les trouve tellement beaux aujourd'hui. L'insouciance de leur jeunesse sont autant de rayons de soleil qui viennent boucaner mon cœur de bonheur. Ils transpirent la liberté et la joie de vivre. Pourtant, ils ne sont pas forcément gais, et le film non plus.


Dernier été est un long-métrage qui brille par la virginité de son coréalisateur Guédiguian (qui l'a mis en scène avec Frank Le Wita) et on plonge littéralement dans sa psyché. Dernier été, c'est le regard du jeune Guédiguian sur son quartier, sur la jeunesse de l'époque, sur la société pré-miterrandienne, sur l'humanité qui tient ici dans un mouchoir de poche, le quartier de l'Estaque à Marseille, comme sur la scène d'une pièce de théâtre antique où la tragédie est aussi fatale que fataliste. Ce qui me fascine dans Dernier été, c'est sa fonction de machine à remonter le temps. Grâce à ce long-métrage, je me suis baladé tel un fantôme avec une bande de jeune glandeurs/délinquants dans les rues de Marseille à l'aurore de ces années 80. Y pullulent vieilles bagnoles, motocyclettes, bars PMU, tabac brun, pastis, poissons, goudron brûlant, diesel fumant, mouettes, débardeurs en sueur, robes légères et soleil de plomb.


Film résolument naturaliste, Guédiguian réalise également un film engagé. Habitué à débattre et devoir convaincre son auditoire en tant qu'électeur/rabatteur communiste, il nous séduit avec une histoire universelle, un montage énergique et une mise en scène claire, droite, avec une photographie brillant par sa discrétion et sa pudeur pour traiter ses personnages sans jugement et un son direct permettant une expérience encore plus immersive dans ce Marseille qui n'existe plus. C'est un film, bien que témoin de son époque, qui ne vieillira jamais car il y est question d'émotions universelles. Guédiguian puise son inspiration dans la tragédie grecque et dans la bible. L'histoire de l'humanité, dans son infiniment grand comme dans son infiniment petit, étant toujours la même, quelque soit le continent, fonctionnant comme une ritournelle, à l'image du Big bang (notre univers est condamné à imploser puis à exploser puis à imploser et exploser à l'infini...) nous ne pouvons que nous identifier à ces personnages authentiques.


Ce film est une balade tragique, main dans la main avec des protagonistes que j'ai aimé accompagner. Le bonheur avec le cinéma de Guédiguian, c'est de retrouver les mêmes acteurs, dans les mêmes décors et voir le tout évoluer, vieillir avec les années. Les idées, le discours change avec celui de Guédiguian. Comme tous les grands auteurs, à l'instar de King Vidor ou Delmer Daves, Guédiguian part d'un constat, avec un point de vue au départ péremptoire qui n'aura finalement de cesse d'évoluer au fil des films, au grès des années passant.


L'ombre de Pasolini traine par ici. Dans le fait de plaquer de la musique classique sur le portrait d'une jeunesse désabusée, condamnée à un destin tragique. Le regard de Pasolini était amoureux, celui de Guédiguian est amical. C'est une peinture réaliste de la petite délinquance causée par un grand manquement dans notre société qui pourrie lentement mais surement. Ce qui rend autant Dernier été indemodable, c'est également en son théorème : comment devient-on un bandit dans un quartier defavorisé, comment en tant que parent on peut se laisser dépasser par nos enfants et le dur labeur. C'est un constat sociologique malheureusement pérenne. C'est l'atout majeur de ce film qui ne présente quasiment aucune intrigue. L'intérêt est de se balader avec eux dans cette atmosphère, celle de l'Estaque des années 80. C'est maladroit, c'est fougueux, c'est passionné. C'est un magnifique premier film.



ThibaultDecoster
8

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le 16 juil. 2023

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