Dans son regard absent et son iris absinthe

Voila un film dont l'échec public repose sans doute sur un malentendu:
Sur-vendu par sa bande annonce comme un film d'horreur - qui plus est, le premier film français tourné en 3D - le film aura forcément déçu ceux qui en attendaient ce genre de frissons.
Ce qui est bien dommage car le film avait d'autres atouts que son aspect faussement horrifique pour séduire un tout autre public et que cette publicité un poil mensongère a sans doute eu un effet repoussoir sur ce public potentiel.

En effet si le film trouble souvent son spectateur avec des séquences fantastiques - et même horrifiques - au final, on pourra tous s'accorder à convenir qu'il n'est en rien un film "de genre" et qu'il n'en revêt les apparences que pour brouiller (un peu maladroitement parfois, comme avec la "disparition" des fillettes) les pistes et pour opacifier le mystère qui entoure cette intrigante Suzanne, venue de la ville pour "s'enterrer" dans la campagne auvergnate afin d'y noyer on ne sait quel chagrin ou quelle culpabilité.

On ne peut pas nier que l'ambition des deux jeunes cinéastes, Julien Lacombe et Pascal Sid, pour un premier long-métrage est considérable...
Un film d'époque, en costumes, sans stars, un mélodrame déguisé en film fantastique et en prime entièrement tourné en 3D, voila un projet pour le moins kamikaze dans le panorama du cinoche français actuel.
Et d'autant plus louable qu'il réussit à emporter l'adhésion sur plusieurs de ces points...

A commencer par le choix de Laetitia Casta...
Actrice encore trop sous-estimée - malgré de beaux rôles dans de très bons films - et dont le métier même de mannequin confère à cette Suzanne un aisance dans ses costumes et coiffures d'époque absolument essentielle à la crédibilité du personnage autant que du film...

Cette crédibilité est renforcée par des acteurs absolument prodigieux tels que Jacques Bonnaffé ou Charline Paul (rôle bref mais performance marquante !) qui valident totalement le film de ce point de vue et lui évite de sentir l'amidon, la naphtaline et le carton-pâte...
Seul Thierry Neuvic au physique en plus très moderne semble un peu engoncé dans son costume trop neuf... Mais son charme et sa sobriété finissent par faire la blague...

La mise en scène est très soignée et souvent convaincante (même si elle n'atteint pas le brio du Pascal Laugier de Saint Ange dans une ambiance et un récit un peu similaire...) et le film d'un point de vue formel tient solidement la route du début à la fin.
La photo de Nicolas Massart est d'ailleurs vraiment somptueuse et apporte énormément au film en crédibilité, en mystère et en noirceur...

L'utilisation de la 3D parait presque saugrenue dans un film qui n'est pas vraiment un film de genre même s'il flirte avec le fantastique...
Et de ce point de vue aussi, les cinéastes frappent fort et juste en utilisant la 3D davantage dans un mode de "submersion", de la profondeur de champ et de l'amplification de l'espace de la maison, plutôt que dans une horripilante et énième 3D du surgissement.

Lorsque l'on découvre le film en 2D ce parti pris est particulièrement frappant dans la mesure où jamais l'effet gadget de la 3D n'en perturbe la vision.
Ce n'est donc pas seulement là le premier film français tourné en 3D mais sans doute un des rares films mondiaux à utiliser ce procédé intelligemment, un peu à la manière de James Cameron (le confort du budget et l'ampleur du spectacle en moins...)

Difficile en revanche d'en dire davantage ici concernant le récit sans en éventer le suspense mais c'est hélas sur ce point que le film montre de vraies faiblesses.

Le portrait de femme que nous offre le film est magnifique et devrait nous passionner. On comprend d'ailleurs fort bien ce qui a pu déterminer Casta à adhérer au projet...
Mais c'est dans sa partie fantastico-horrifico-policière que le film se noie parfois dans de vraies maladresses (les personnages de Bonnaffé et d'Anne Loiret dans la dernière partie) et surtout dans la fin absolument bâclée du scénario que le bat blesse...
Tout particulièrement dans la résolution in extremis de "la disparition" des fillettes qui touche au ridicule ou encore à la suspicion jetée sur Bonnaffé à la moitié du film qui viennent malheureusement parasiter l'émotion de la découverte du véritable mystère du personnage de Suzanne, accablée de culpabilité et de douleur, s'anesthésiant à coups d'absinthe et de laudanum.

Le pathétique de cette révélation finale et la lumière qu'elle jette sur tout le film, sur le passé de cette femme et les effets de ses addictions (j'essaye de rester le plus vague possible afin de ne rien spoiler...) auraient suffit amplement à créer la surprise et l'émotion sans que le scénario se prenne les pattes dans son final consternant par rapport à la résolution de cette affaire de disparition...

Et c'est vraiment dommage car ce qui a toutes les cartes en mains pour être un très joli film et un magnifique portrait de femme en chute libre, se prend un peu les pieds dans le tapis du fantastique avec une fin de scénario un peu bâclée et peut-être (?) la peur d'ajouter le mal à la folie de cette femme et d'en faire un personnage un peu plus ambivalent...

Reste cependant que Derrière les murs est un premier film très ambitieux et prometteur et les bonus du DVD offrent notamment un court-métrage policier des réalisateurs: "Le Sixième homme" qui confirme un vrai talent de mise en scène et de direction d'acteur qui devraient faire de ces auteurs de vrais espoirs français dans le ciné de genre, s'il ne se laissent pas écraser par leur idoles (Spielberg & Cameron cités au générique comme des modèles à atteindre) et encore moins séduire par les sirènes hollywoodiennes... Car leur style me parait très français...

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le 12 août 2014

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Foxart

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