Ce documentaire est une pépite rare. À la fois amusant, terrifiant, troublant, il met en lumière un aspect devenu fondamental dans notre société : les réseaux sociaux. Et plus exactement, le lien qu’on entretien avec eux et, surtout, le lien qu’ils nous imposent à eux. Surfant à la fois sur la dystopie et l’utopie, les témoignages se montrent pertinents et révélateurs sur le fonctionnement derrière nos écrans. Que ce soit la dépendance qui en découle, des rouages du système, des motivations derrière, ou bien de l’éthique (ou plutôt son absence) des différentes compagnies. Ce n’est pas en fin de compte un hasard si les témoins sont tous des membres qui ont participé à l’essor de ces différentes plateformes : ils les ont créées, développées, évoluées, changées.
Le danger qui est ici pointé n’est pas tant notre utilisation que nous faisons des réseaux sociaux. Même si le documentaire nous donne des éléments pour mieux gérer notre utilisation, il n’oublie pas de rappeler qu’ils sont programmés et conçus pour nous amener à y avoir recours. La réelle menace, c’est plutôt l’autre côté de l’écran, les algorithmes et les intelligences artificielles qui sont derrière les profits colossaux engendrés par notre utilisation. D’ailleurs, le documentaire n’ira pas par quatre chemins en nus rappelant (ou nous révélant) un principe fondamentale : nous sommes le produit, ou du moins les plus légères modifications dans notre perception. S’il en revient à nous d’imposer des règles personnelles à notre utilisation des réseaux sociaux, cela ne nous empêche pas de vouloir leur imposer une réglementation.
Car les dangers intrinsèques sont bien réels, et le documentaire les illustre très bien. Que ce soit par la petite histoire en parallèle (qui pourrait prétendre à un épisode de Black Mirror), par les témoignages mais aussi les images d’archives qui nous renvoie aux plus récents moments de notre histoire sociale. Alors certes, le documentaire prend un prisme de vue très américanisé, mais il n’oublie pas de soulever les dérives à l’échelle mondiale. La multitude des intervenant-e-s et la pertinence de leur propos a de quoi nous donner des sueurs froides, nous amenant à réfléchir sur certains concepts et idées reçues sur les réseaux sociaux.
Au bout du compte, ce qui se révèle le plus terrifiant dans ce documentaire ce ne sont pas les choses qu’on y apprend/découvre, car si on est déjà un peu sensibilisé à la question, nous sommes déjà au courant des bases qui y sont présentées. Non, le plus terrifiant dans cette histoire, c’est que même lorsqu’on a une idée de l’ampleur de la situation, on prend peu à peu conscience de son échelle gargantuesque. Ce qui est terrifiant, ce n’est pas tant d’apprendre/découvrir que nous devenons de plus en plus dépendants des réseaux sociaux et des conséquence que cela peut entraîner ; c’est de réaliser à quel point il peut être difficile de lutter, puisqu’ils ont été programmés pour être aussi efficaces. De prendre conscience de la mécanique derrière l’algorithme, même si nous ne pouvons y résister, et comment il est capable de modifier notre comportement de façon presque imperceptible mais profonde.
Comme le rappelle si bien ce documentaire, nous sommes des utilisateurs, notre attention est le produit de ce système qui semble sorti tout droit d’une dystopie. Une dystopie qu’on pensait ne voir apparaître que dans un futur plus ou moins lointain, sous un autre aspect, plus terrifiant, plus menaçant, et qui est pourtant déjà bien présente, ancrée dans notre société et contre qui, nous sommes presque impuissants. Que ce soit par son montage, la pertinence des interventions et des témoignages, son histoire parallèle glaçante, Derrière nos écrans est un documentaire qui doit être vu par tous. Un coup de poing terriblement violent mais efficace.