Des rencontres ratées pour un film réussi
Comme chacun le sait, le principe du film choral repose sur l’éclatement d’histoires, le plus souvent géographique et plus rarement temporel, mettant en scène des personnages dont les trajectoires finissent tôt ou tard par se croiser. C’est un genre à présent galvaudé et vidé de sa substance dont, à vrai dire, on n’attend plus grand-chose. Il serait fallacieux d’associer hâtivement le premier long-métrage de Dyana Gaye, réalisatrice jusqu’alors de formats courts, parmi lesquels le très remarqué Un Transport en commun (2009), à cette espèce. S’il y a bien ici multiplication de lieux – trois villes pour être précis : Turin, New York et Dakar, trois villes de cinéma qui partagent aussi une localisation plus ou moins proche avec la mer – il n’y aura jamais de croisement des personnages, mais au contraire la mise en place doublement facétieuse et cruelle d’un jeu de taquin irréversible qui voit les personnages se rater et, en quelque sorte, se courir après. Arrivée du Sénégal, la douce et innocente Sophie pense retrouver son mari Abdoulaye, parti pour les États-Unis où il pense retrouver Mame Amy, la tante de Sophie, laquelle vient de rejoindre, en compagnie de son fils Thierno, la capitale africaine pour y enterrer son mari. Ce sont donc trois personnages qui se retrouvent propulsées sur un continent dont ils ignorent aussi bien la langue que les coutumes.
Pour les époux séparés, grande est la désillusion : Turin n’est pas une ville immédiatement hospitalière et la communauté des femmes africaines, plus libérées et émancipées que Sophie, déjà converties aux espérances de liberté qu’offre l’Europe, se révèle davantage moqueuse que réellement solidaire. Inutile de préciser que Big Apple n’est pas l’eldorado qu’avait imaginé le naïf Abdoulaye, dupé par son cousin. Il en va sans doute autrement pour le gâté Thierno, appartenant à la catégorie des jeunes gens cultivés réussissant à être à l’aise partout, qui arpente les rues bruyantes et surpeuplées de Dakar, enivré d’odeurs et de sensations. Cependant, loin des discours attendus et éculés sur l’immigration et le déracinement, Des Étoiles demeure un film qui sait rester au niveau des destins individuels sans prétendre toucher à l’universalisme. La réalisatrice parvient en quelques plans à identifier les trois lieux sans tomber dans le cliché ou le déjà vu, ce qui est particulièrement notable pour New York. Elle distille ainsi des ambiances successives de profond désarroi, de solitude extrême et de renaissance d’espoir par le biais d’une histoire éternellement recommencée. Il n’est pas inopportun de voir un parallélisme entre les parcours de la tante Mame Amy et de sa nièce Sophie, l’une après l’autre apprenant le prix à payer pour l’indépendance et la fuite d’un pays dépourvu de perspectives.
En travaillant avec méticulosité sur les caractéristiques des trois villes, ce qui passe par le soin apporté à la lumière, à la musicalité et au rythme, Dyana Gaye livre un premier long-métrage attachant et subtil, capable d’installer et de faire exister l’ensemble de ses personnages, en témoignant du coup d’une géographie mondialisée aux proportions toujours plus resserrées, sans que, pour autant, le métissage qu’elle produit ne change rien à l’affaire : les faibles, les miséreux et les doux rêveurs sont toujours les perdants d’un jeu pipé. Parce qu’il est sensible et s’éloigne ostensiblement des poncifs habituels, ce regard est encore plus nécessaire dans une époque repliée sur elle-même qui ne cesse de les véhiculer pour mieux les raviver.