Je découvrais ce film en même temps qu'un doc sur Michael Cimino ('God Bless America' de Jean-Baptiste Thoret)
dont des citations peuvent m'aider à dire ce que j'ai ressenti et aimé dans le film de Lucas Belvaux:
(Cimino raconte ) "Quand j'étais étudiant en architecture, un de mes exercices préférés et qui m'a tant appris,
a été de prendre en masse des images dans les magazines,
et de faire une échelle de gris.
On devait aller du noir le plus noir jusqu'au blanc le plus blanc.
Et trouver le plus de nuances de gris entre les deux."
"Je ne crois pas aux stéréotypes manichéens.
Je pense qu'il y a une quantité de bien et une certaine quantité de mal."
Je trouve que Lucas Belvaux arrive à faire ça mais sur la durée de son film. Le début semble manquer de nuances, puis le tableau se complète et le plan large final, le résultat global, est le nuancier dont parle Cimino.
Au sujet de l'après guerre, Cimino ajoutait:
Par exemple, "pour Stanley White (vétéran du Vietnam dans 'L'année du Dragon'),
le conflit ethnique qui ravage Chinatown constitue la continuation de la guerre, mais en temps de paix".
Algérie, Vietnam, Afghanistan, différents lieux mais finalement expériences très proches pour leurs si jeunes vétérans:
Nous "travaillons désormais pour un arabe."
"Les Afghans ne sont pas des arabes"
"...dans tous les cas, ce ne sont pas des Américains"
(disent des anciens de la guerre en Afghanistan dans 'Un homme en colère' de Guy Ritchie)
Jean-Baptiste Thoret ajoutait au sujet de Cimino mais ça marche encore et m'aide pour parler de ma réception de 'Des Hommes' de Belvaux et du sujet de l'Algérie en France:
"En 1980, l'Amérique ne pouvait entendre ce que Michael Cimino dans 'Les Portes du Paradis' avait à lui dire: la critique implacable de l'un des mythes fondateurs de la nation. L'impossible alliance du peuple et des élites, l'exploitation éternelle des premiers par les seconds, soit une lutte des classes brutale et injuste, en lieu et place de la Pastorale promise. En somme, le fantôme de Karl Marx sur les terres du Wyoming."
(Jean-Baptiste Thoret dans 'Michael Cimino, God Bless America')
Et Cimino ajoute ce que des pieds noirs disaient et ce que certains disaient d'eux:
"Ils se croyaient comme au Paradis, ils étaient dans un si bel endroit, une des plus belles régions du continent, le Montana. Mais même le Paradis peut devenir l'Enfer."
Sur l'Algérie, on disait aussi:
"C'est une vieille histoire.
On ne veut pas entendre la vérité.
On préfère les jolis mensonges.
J'ai pris un risque avec ce film et j'en ai payé le prix"
dit Michael Cimino en voix-off sur les images du fermier/colon/immigré abattu à travers les draps dans 'Heaven's Gate', qui rejoint, son ventre évidé, la carcasse qu'il était en train d'évider.
"J'ai fait l'erreur de vouloir m'en tenir à la réalité. En ce faisant, on m'a accusé de l'avoir déformée."
La correspondance du frère avec sa soeur dans le Belvaux où il parle des nuits d'attente, de l'alcool etc.
me rappelle ce que Cimino rapporte des souvenirs de vétérans:
"Interrogez tous ceux qui ont combattu. Demandez-leur: "à quoi ça ressemble, la guerre?"
C'est surtout de très longues périodes d'attente.
On attend.
On attend...
Puis soudain, des échanges de tirs, très rapides, effrayants.
La question (pour un réalisateur) est alors: "comment tu fais pour représenter cet état de guerre. Comment montrer ces jours, ces semaines d'attente? Puis une chose se produit en l'espace d'une minute. Quand c'est fini, la vie de tous est changée à jamais.
On ne peut pas vendre au public une telle attente. Quelle est la meilleure façon de compresser/comprimer, à des fins dramaturgiques, cette démente combinaison d'attente suivie de violence aveugle et subies?" (...et d'horreurs) "J'ai choisi les scènes de roulette russe."
(Michael Cimino dans 'God Bless America' de Jean-Baptiste Thoret) '
Lucas Belvaux a choisi les retours sur le passé et les avances vers le futur.
(à suivre)
Ajouts 19/01/2022:
__________Je l'ai revu et le plan du début est protéiforme: on devine un feu qui crépite.
On pense à un feu de camp, puis on reconnait une cheminée...
mais lors de ce revisionnage du film, les flamèches partant du feu crépitant m'ont aussi fait penser à des balles traçantes.
__________Comme les fous de Daesh ou musulmans intégristes, le personnage de Depardieu était lorsqu' adolescent, un ersatz de jeune Taliban, comme il y en a tant dans nos quartiers et lycées aujourd'hui (où il y aurait un gros retour du puritanisme).
J'avais moi aussi condamné l'ado macho qui au pied du lit de sa soeur mourante lui murmure que c'est "une salope": tout ça car elle est, ce que l'époque appelait encore, 'une fille-mère'.
Elle meurt après avoir donné naissance à son petit bâtard puisqu'elle a osé coucher hors-mariage.
Le tribunal qu'est le film m'avait fait condamner cet ado qui se cure les ongles en ne montrant aucune pitié ou compassion pour la mourante.
D'autant que le procureur m'apprenant cette scène était digne de confiance puisque c'est le sensé, le posé, le calme bachelier, pas raciste pour un sou, qui dit "j'étais là, je l'ai vu"...en plus, joué par le facilement aimable Jean-Pierre Darroussin.
Sauf que, comme dans 'Le Sergent Noir' et comme John Ford, Lucas Belvaux nous apporte d'autres infos et il éclairera ENSUITE la même scène mais d'un autre angle et d'un autre témoin, qui apportera de la NUANCE.
L'autre témoin est sa soeur encore en vie et qui a entretenu de longs échanges épistolaires. Catherine Frot informe Darroussin, le Bachelier-juge qui a hélas déjà répandu la rumeur: que cet ado sarcastique et impitoyable, s'est morfondu, lui, d'avoir dit ça à sa soeur mourante.
Il s'est jamais pardonné et a regretté.
Mais surtout, il était aux mains d'un guide spirituel manipulateur: un prêtre qui faisait penser la même chose à toute une région "et aux autres", qui aussi la voyaient comme une 'fille-mère' qui méritait sa douleur et mort...sauf "qu'eux n'ont pas regretté."
(des bonnes soeurs, sages femmes, n'évitaient d'ailleur pas la douleur aux accoucheuses hors-mariage).
Cela n'excuse pas le jeune Béber, le jeune Depardieu macho, mais le témoignage de sa soeur, donne de la nuance et les origines de son machisme envers son autre soeur.
Machisme encore endémique de nos jours en France.
L'acteur Yoann Zimmer (jouant Depardieu jeune) est intense et habité.
Sa scène de prière au camp, et son monologue ensuite est encore emblématique de ce qui secoue notre pays en 2021: son approche biaisée, intégriste, dévoyée de la foi, écrase son coreligionnaire, lui, religieux priant aussi mais "modéré".
Ces deux approches de la religion lors de cette (simple) scène de prière sont celles qu'on retrouve dans les autres religions aussi. De nos jours encore.
Tout ce tribunal populaire dans ce village qui condamne à 100% le violent, et les mécanismes de mal-informations, me rappellent le film de procès de John Ford, certes avec innocent plus évident: 'Le sergent noir'.