L’alliance John Hillcoat / Nick Cave avait si bien fonctionné sur The Proposition qu’elle se reforme ici, délocalisant le western dans la période de la prohibition, s’attachant aux producteurs davantage qu’aux mafias qui les distribue. Décors sylvestres et ambiance agricole, portés par une photographie soignée, encadrent des personnages bourrus, à la virilité affirmée et la violence latente.
Lawless accroit en outre son ambition hollywoodienne par un impressionnant casting all-stars, au risque de glamouriser et figer son atmosphère. C’est là la première réussite du film : tous les comédiens, jusqu’à Shia, si si, sont crédibles, et au service de leur personnage, (même si celui de Guy Pearce se révèle trop poussif et caricatural) dans des rôles de taiseux pour la plupart, sur lesquels le décidément immense Tom Hardy règne en empereur.
La question qui traverse tout le film est celle de la légende, et des sacrifices nécessaires pour s’y conformer. Forrest, (Hardy) le frère patriarche, l’affirme clairement à Jack, le cadet impatient d’en découdre :
We're survivors. We control the fear. And without the fear, we are all as good as dead. Do you understand ? - Do you ?
Tout l’équilibre s’instaure dans la gestion des différents caractères, au profit d’une alchimie fondée sur la gestion des différentes bombes à retardement : Forrest, donc, dont le potentiel violent, avec son frère alcoolique sociopathe (Jason Clarke), impose le respect à toute la cantonade. Jessica Chastain, la femme dont la douceur discrète viendra panser les plaies que suscite le fait d’être un homme dans un monde de brutes, et enfin le jeune Jack, déchaînant tous azimuts ses pulsions de jeunesse, vers la gent féminine (notamment dans cette très belle scène de lavement de pieds à l’église) ou la conquête de la pègre locale.
Le film pourrait se limiter à cet affrontement des pécores face aux autorités, mais ce serait limiter sa portée réelle que de s’arrêter à cet arc du script. La finesse et la malice de Nick Cave se retrouvent dans l’intelligence avec laquelle il traite les figures héroïques : une femme maternelle et néanmoins souillée, de ses origines à cette fameuse nuit elliptique durant laquelle on inscrit un nouveau chapitre à la légende, celle d’un Forrest marchant la gorge tranchée une trentaine de miles, preuve irréfutable de son invincibilité, et sur laquelle il faudra revenir. Car le récit, s’il se prête volontiers à la dynamique classique de la surenchère (violence, dommages collatéraux, mécanique tragique), ne cesse simultanément de questionner cette brutalité de façade : par le rôle donné aux femmes, par l’absence de complaisance sur la violence, maintenue à distance et suscitant l’effroi des personnages les plus censés, ainsi que l’absurde de cette course à un contrôle qui ne peut que s’achever dans un bain de sang. Sans manichéisme, mais avec une forme de sagesse indicible, Cave & Hillcoat décapent l’héroïsme habituel, que ce soit dans la bêtise un peu crasse des mâles ou dans ce dénouement presque déceptif, par lequel la fin de la prohibition laisse place à une époque pacifiée qui fait surgir l’ennui chez des êtres épris d’un romanesque fondé sur la violence.
Hillcoat, qui s’est depuis un peu trop assagi, notamment avec Triple Nine, devrait de toute urgence prendre son téléphone et contacter Cave pour son prochain opus : il s’est rendu indispensable à sa filmographie.