Un regard
Il y a deux amantes, deux portes, deux histoires familiales, mais un seul regard. Quand Nina, surprise par l’irruption du frère et de la sœur dans l’appartement voisin, vient à se cacher dans la...
le 27 janv. 2020
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Il y a deux amantes, deux portes, deux histoires familiales, mais un seul regard. Quand Nina, surprise par l’irruption du frère et de la sœur dans l’appartement voisin, vient à se cacher dans la baignoire, c’est le rideau de douche qui se reflète dedans, là, dans son œil à elle, un rideau comme métaphore de la séparation entre deux mondes, entre la liberté de l’une – guide touristique – et l’enfermement de l’autre dans une somme de rôles à tenir : et veuve et mère et grand-mère et objet de tension familiale et femme désirante et désirable qui ne parvient à mettre en mots ce qu’elle ressent, ce qu’elle envisage, cet horizon d’amour qui la maintient en vie et la submerge à la fois. Les mouvements font défaut, mais le cœur y est. Dans l’œil. Un regard, long, adressé. On le dirait vide depuis l’extérieur ; on ne sait d’ailleurs pas si Mado entend et comprend ce qu’on lui dit, on augmente les doses médicamenteuses pour calmer ses agitations, on parle fort, on décide à sa place, on ne la regarde pas. Deux seuls la regardent. Et l’aiment en la regardant. Nina, son amante, et Filippo Meneghetti, le réalisateur.
La caméra de ce dernier s’avance au plus près du visage, ne cherche pas à déchiffrer les traits impassibles de Martine Chevalier ou ceux dévastés de Barbara Sukowa (toutes deux magistrales), non, la caméra s’avance au plus près du visage et ouvre une fenêtre, raccorde les appartements à la manière de ce seuil si péniblement franchi au son irritant de la minuterie régulant l’éclairage. Le visage des femmes qui s’aiment est une fenêtre ouverte sur. Sur ce qui échappe à la parole, sur ce qui n’a pas besoin de la parole pour se dire et se vivre. En dépit de leur séparation physique, il suffit d’un plan sur l’œil et ce sont les deux visages que l’on retrouve, embrassés et indissociables. Les autres regards – entendons ceux des autres protagonistes – sont sans communion, ils ne renvoient rien, ou alors des étincelles d’empathie, in extremis.
Car Deux pose d’emblée un équilibre qui pourtant déséquilibre tout : l’amour entre deux femmes est une évidence, et pourtant règnent l’autocensure et les non-dits à table, une fois les bougies d’anniversaire soufflées. Le traitement cinématographique de cette évidence mêle étroitement les genres avec la virtuosité d’un maître, passe de la comédie pure – voire à ce titre le personnage grotesque de l’infirmière à domicile dont les gros yeux ronds et vides de toute profondeur occasionnent un rire grinçant – au thriller paranoïaque, en faisant quelques haltes brèves du côté de la tragédie, du fantastique et de la romance. Cet entrelacs constant des tons et des registres traduit à l’image la difficulté d’une évidence, cette évidence que sont l’homosexualité et l’amour homosexuel, qui nécessite moult détours pour finalement aboutir à la danse, la même qu’au début, les pieds nus glissant sur La Terra, une chanson italienne aux échos bien connus.
Pour son premier long-métrage, Filippo Meneghetti signe un chef-d’œuvre, l’un des plus grands films de cette année 2020 qui à peine commence mais qui annonce la naissance d’un cinéaste.
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le 27 janv. 2020
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