Fantômes
Pour un premier film, le réalisateur Giacomo Abbuzzese a su déjà trouver une identité visuelle très marquante. Pas seulement pour l'usage qu'il fait des couleurs et des musiques, propres aux mises en...
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le 5 mai 2023
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J'aurais beaucoup de choses à dire dessus tant il y avait d'idées là-dedans. On suit un biélorusse, Aleksei qui tente d'émigrer en France en rentrant dans l'espace Schengen avec un ami à lui. Même si tout ne se passe pas comme prévu, Aleksei arrive en France sans-papiers et décide de s'engager dans la Légion étrangère: jusque-là on a déjà vu. C'est le premier long-métrage d'Abbruzzese, réalisateur italien de ce que j'ai compris et sa mise en scène était plutôt intéressante. J'explicite mes propos en m'appuyant sur le film donc si la divulgation du contenu du film vous irrite, il est temps d'aller le voir.
Comme je l'ai écrit plus haut, c'est un synopsis plutôt banal du cinéma du genre. Mais tout le génie du film réside dans son intelligence artistique. Rapidement, on comprend l'opposition entre le jeune nigérian et Aleksei, noir et blanc, leader d'un groupe terroriste d'un pays du tiers-monde et chef d'équipe de la légion d'une puissance internationale, etc. La manière dont sont filmés l'un et l'autre sont presque malsains, avec des gros plans qui ne s'arrêtent qu'à la rétine et une bande-son de Vitalic très oppressante, bourdonnante. Exemple en est la scène où Aleksei marche dans Paris et observe ses statues aux visages ambigus.
Les indépendantistes capturent des français (scientifiques, industriels ?) et l'on envoie l'équipe d'Aleksei les récupérer. Scène de soldats qui progressent dans la jungle, c'est du classique, mais c'est juste après que le film m'a saisi: la scène de combat. Après une petite scène où les légionnaires n'interviennent pas pour sauver des civils dans un village attaqué par l'armée nigériane en suivant leurs ordres, c'est l'affrontement. L'idée de filmer les combats dans la nuit avec une caméra en première personne et en vision thermique, c'est génial. On se sent à la place d'Aleksei et l'on ressent presque ce que c'est d'être à des milliers de kilomètres de la métropole, à se battre dans une jungle inconnue pour sauver des gars qu'on a jamais connu: c'est absurde.
Les cours d'eaux sont un fil conducteur dans un monde où l'enjeu primordial sont les espaces maritimes, que ce soit pour les flux migratoires et les enjeux géopolitiques: la rivière où Mikhail meurt, la Seine, le Delta du Niger, etc. La retranscription des sensations est palpable et à chaque fois où l'on est en première personne dans l'eau, on voit quasiment rien et on arrive pas non plus à respirer. Que ce soit en la traversant ou en s'y tuant, on s'y sent dans cette eau qui bouge, qui danse. L'eau bourdonne elle aussi, comme la musique.
Après avoir tué le nigérian, on voit que malgré la déshumanisation que fait subir l'armée, logiquement, sur ses soldats, il n'en est pas moins qu'il reste trop d'humanité à Aleksei: il l'enterre. Le lendemain, il est évacué par hélico et tient dans le vide accroché par la corde. Ce plan est su-bli-me, le fait qu'il ne tient qu'à ce fil, au-dessus de tout cette jungle à feu et à sang. Le fait qu'un biélorusse se retrouve devant ce tableau absurde d'un monde qu'il ne connaissait qu'à la télévision. Il ne redevient pas celui qui il'était, il change.
En gros, comme lorsque l'on exprime une dernière volonté avant de mourir, Aleksei va se faire aspirer par le rêve de ce que voulait devenir le défunt s'il était né "among the Whites": un disco boy. Passion en commun que laisse présager la musique éléctro-punk dans le semi-remorque polonais. Si l'on avait eu le droit à un passage de danse transcendante, filmée à la lumière du feu, entre le frère et la soeur avant le début des hostilités, le reste du film en métropole accentue cette transition.
Même si il commence à avoir quelques moments d'abscence et des hallucinations en rapport avec sa jeune victime, Aleksei continue sa vie à la légion. Les légionnaires qui sortent disposer de leur corps d'une autre manière le week-end, c'était fait d'une très belle manière. La rencontre entre ces petites bobos et ces trois étrangers que la Légion a permise de réunir dans une discothèque parisienne. C'est presque absurde aussi. Pour couronner la première apparation dans la boîte de nuit, la scène de l'enterrement de Mikhail avec du bordeaux. Troublé par la mort du jeune nigérian, il voit apparaître ce qui semble être sa soeur sur le dancefloor.
Elle devient pour lui obsession hallucinante, lui rappelant celui qu'il a tué et la danse, et tente par tous les moyens de la retrouver en délaissant petit à petit la Légion. Les scènes dans la boîte sont très agréables visuellement et la bande-son illumine une fois de plus le film. Pour couronner le tout, j'ai aimé que le réal ne prenne pas ses spectateurs pour des débiles et j'en ai un petit exemple. Combien de fois a-t-on vu au cinéma, la scène du gars seul qui se fait recaler de boîte par les agents de sécus, pour au final trouver un autre moyen de rentrer ? Eh bien là, un coup de caméra et l'on a compris qu'il ne passera pas par la porte principale. C'est la subtilité que l'on aime, montrer des choses que l'on a déjà vu mais d'une toute autre manière.
Créée
le 4 mai 2023
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