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Doctor Sleep est sans doute mon livre préféré. C’est en tout cas, mon King préféré. Il y a des œuvres comme ça qui résonnent plus que d’autres car elles font ressurgir des souvenirs personnels profonds. Doctor Sleep est de ceux-là. Plus encore que Shining, ce livre me touche profondément, de par ses personnages, et surtout ses thématiques. Et c’est peut-être l’œuvre culturelle qui résonne le plus en moi avec Spiderman. J’étais donc vraiment curieux à l’idée de voir cette œuvre adaptée au cinéma, d’autant plus que le pari est risqué.
Parce qu’adapter Doctor Sleep, c’est déjà un beau bordel en soi. Premièrement, parce qu’adapter un bouquin de Stephen King, on l’a vu, c’est une véritable galère. Doctor Sleep n’échappe pas à la règle puisqu’il s’agit d’un sacré pavé abordant des sujets ultras psychiques (le Shining, ça reste quand même assez difficile à se l’imaginer). D’autre part, ce film fait suite au Shining de Stanley Kubrick qui envoyait totalement valser le bouquin d’origine. Le gros défi donc pour Mike Flanagan, c’était à la fois de faire honneur au bouquin de King, tout en faisant suite au film de Kubrick. Me concernant, j’avais toujours considéré que si on voulait faire un film Doctor Sleep, il fallait obligatoirement refaire un Shining plus fidèle (et de qualité, pas comme le téléfilm de 1990). Mais non, Doctor Sleep est donc une suite au film de Kubrick, et une adaptation d’un Stephen King. Autant dire que le film avait le cul entre deux chaises. Certains sont allé le voir pour regarder une suite du film de Kubrick, d’autre, une adaptation de King. Moi, je vois plutôt ce Doctor Sleep comme un compromis.
Pourquoi je considère ce film comme un compromis ? Parce qu’avec une base aussi bordélique, Flanagan nous a proposé un mix. Une suite cohérente au Shining de Kubrick, mais une suite assez détachée pour se permettre de suivre assez fidèlement les thématiques du livre de King. Et les thématiques pour moi, c’était ce qu’il y avait de plus primordiale dans cette adaptation.
De quoi parle Doctor Sleep ? Le roman parle d’un homme poursuivi par les fantômes du passé qui l’ont traumatisé dans sa jeunesse. Il a réussi à se débarrasser de ses fantômes, sauf un, le pire : l’alcool. L’alcool, la représentation parfaite de son père. Dan Torrance est un homme rongé par le passé, un homme qui s’est juré de ne pas finir comme son père, mais qui, malheureusement, finit par lui ressembler et semble poursuivre la même voie. Le père donc, Jack Torrance est mort à cause de son vice, l’alcool. Et justement, tout le long du roman de Doctor Sleep, Dan lutte contre ce vice pour ne pas finir comme lui. Mais le retour des fantômes du passé, les fantômes de l’Overlook Hôtel vont mettre à rude épreuve sa sobriété. Pour moi, c’est ça, la base de Doctor Sleep. Les démons vides, Abra Stone, le retour de Tony, c’est le corps du livre, mais son âme, c’est cette lutte d’un fils qui fait tout pour ne pas ressembler à son père, et c’est cette âme, qui me fait aimer à ce point le livre.
Et cette âme, on la retrouve dans le film de Mike Flanagan. Rien que pour ça, j’étais conquis. Mieux encore, de par son statut de suite du Shining de Kubrick, le film propose pas mal de parallélismes, notamment dans la partie finale. De ce fait, on retrouve les thématiques du livre, mais revisitées sous le prisme de Kubrick (la déambulation dans les couloirs de l’Overlook, totalement absente du livre permet un parallélisme total entre Jack et Dan, à la différence que Dan évite tous les pièges tendus par l’hôtel). Donc moi, je suis content. Je retrouve toutes les thématiques qui me sont chers, et en plus, le film suit assez bien l’œuvre de Kubrick pour plaire à ceux qui n’ont vu que le long-métrage de 1980.
Alors quand en plus, le film nous offre une mise en scène sublime faisant ressortir tout l’aspect poisseux et violent de l’univers de King, moi je suis aux anges. Entre It et Doctor Sleep, niveau mise en scène, les adaptations de King fourmillent d’idée de cadre, de composition de plan, de couleur. Il y a des scènes qui sont tout bonnement magnifiques à regarder tout en étant riches en symboles. La scène de torture du jeune Jacob Trembley, bien qu’insoutenable à regarder, est une leçon de montage et de cadrage, un incroyable travail et une des scènes d’horreur les plus réussies que j’ai vu dans cette décennie de films d’épouvantes.
Qu’est-ce qu’on à côté ? Des acteurs convaincants ! Ewan McGregor est parfait dans le rôle de Dan, tout en sobriété mais qui sait se montrer émouvant dans le dernier arc narratif. Rebecca Ferguson en Rose Clacque ? Parfaite, elle correspond parfaitement au profil dépeint dans le roman, joue une Rose toute en subtilité entre son côté chef de communauté et véritable démone sadique. La jeune actrice qui joue Abra est excellente, certains iront pester contre le fait qu’elle soit métisse, mais ce n’est aucunement un problème, bien au contraire. Donc voilà, niveau acteur, on est quand même assez bien servi.
Après bien évidemment, des éléments du livre sont occultés comme la grand-mère d’Abra qui joue quand même un rôle majeur dans le roman et qui est brièvement évoquée. Et tout l’arc final est différent, puisque dans le livre, l’Overlook n’existe plus.
D’ailleurs, toute cette partie finale dans l’Overlook Hôtel, parlons-en. Bon, là, je vais carrément tout spoiler, les deux livres de King, le film de Kubrick et celui de Flanagan. Comme tout bon fan de Stephen King le sait, à la fin de Shining, l’Overlook explose suite à la combustion du système de chauffage, emportant avec lui Jack Torrance. Dans l’arc final du livre Doctor Sleep, la base des Démons Vides se trouve sur les restes de l’Overlook Hôtel. Dans l’affrontement final, Dan Torrance apercevra le fantôme de son père, lui permettant une bonne fois pour toute de faire son deuil et de mettre un terme à ses vices et ses peurs (je tiens à souligner que c’est probablement un des moments de littérature qui m’a le plus marqué à vie). Sauf qu’à la fin du film de Kubrick, l’Overlook n’explose pas, et il faut bien faire avec pour le film de Doctor Sleep. Plus haut dans ma critique, je parlais d’un compromis, et c’est notamment à cause de cet arc final. Car toute la déambulation finale dans l’Overlook (qui a fermé depuis les évènements de Shining) est une référence totale au film de Kubrick, tout en reprenant la fin du livre de King. Parce qu’en fait, la fin du film Doctor Sleep est la fin du livre Shining de King. Et c’est peut-être l’unique reproche que j’ai réellement à faire à ce film.
Et là, si jamais vous voulez vraiment pas que je vous révèle toute la fin du film, fuyez pauvre fous parce que je vais méchamment spoiler.
Je ne suis pas contre l’idée de brûler l’Overlook. Je suis même totalement favorable à cette décision, puisque c’est par la combustion de l’hôtel que Dan se repend de tout ses vices et détruit les fantômes de son passé. Ce que je ne comprends pas, c’est pourquoi tuer Dan dans l’explosion de l’hôtel. A la fin, Dan finit par se faire posséder par ses fantômes et agit exactement de la même manière que son père dans le livre (il tente de tuer Abra avant de s’arrêter net quand il apprend que l’hôtel va exploser, il retrouve ses esprits un instant, le temps de dire à Abra un dernier au revoir et de lui dire de fuir). Sauf que cette idée comme quoi Dan finit comme son père dans le film, je la trouve terriblement mauvaise, puisqu’elle va totalement à l’encontre de l’évolution psychologique du personnage. Dan Torrance, c’est un homme qui a réussi à s’arracher de la voie de son père pour survivre. C’est un homme qui a su dire non à l’alcool et repousser les fantômes pour vivre ! Pour vivre ! C’est pour ça que j’aime à ce point le personnage de Dan, c’est parce qu’il s’impose comme l’exacte opposer de son père en ne tombant pas dans les mêmes pièges. Sauf que si Dan meurt à la fin, toute cette évolution est anéantie ! Il aurait suffi que Dan reprenne ses esprits, quitte l’hôtel avant que celui-ci n’explose, et j’aurai très certainement crié au chef d’œuvre. Cela aurait été magnifique ! Imaginez un Dan Torrance, possédé comme son père par les fantômes, et qui réussit à se détacher d’eux dans un pur moment d’héroïsme en quittanr l’hôtel à la dernière minute ! Mais non, on a voulu gagner en lyrisme en offrant une mort grandiloquente au personnage, mais du coup, on en perd toute sa superbe.
C’est con ! Parce que c’est un énorme défaut… et c’est le seul défaut que je reproche à ce film. Il aurait suffi de peu, de très peu pour que j’érige ce film au même titre que le livre, à savoir au titre de chef d’œuvre. Parce que sinon… tout dans ce film est une réussite. De l’exposition des Démons Vides à l’évolution du personnage de Dan (sauf sa fin), de la mise en scène sublime aux effets spéciaux d’une réussite hallucinante. De la musique incroyable au montage parfait. Il n’y a que ces cinq dernières minutes, ces cinq foutus minutes qui viennent gâcher l’évolution de Dan et donc du message du film. Je dis pas que ces cinq minutes ruinent le film, c’est juste cinq minutes sur deux heures trente de réussite, mais ça crée une grosse déception au fond de mon cœur.
Mais n’en parlons plus ! Parce que même si je m’attarde sur ces cinq dernières minutes, allez voir ce film ! Que vous soyez fan du film de Kubrick ou des romans de King, il s’impose comme une des adaptations les plus réussi de son œuvre. Un film sublime, une expérience cinématographique forte ; un long-métrage d’horreur pesant, qui ne joue jamais la carte du jump-scare, mais laisse plutôt l’ambiance malsaine s’insinuer. Bref, une bonne grosse réussite qui fait honneur au chef d’œuvre de King. En tout cas, je peux le dire, que ce soit en livre ou en film, l’arc Shining/Doctor Sleep est et restera mon préféré de toute l’œuvre de King.