Echec et meute
L'être humain est, avant toute autre chose, un animal social. Mais comme il aime plus que tout se raconter de réconfortants mensonges, il fait tout ce qui est son pouvoir pour l'oublier, et feint de...
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le 22 nov. 2018
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Alors que son dernier film Tale of Tales avait énormément déçu, Matteo Garrone revient en sélection officielle du Festival de Cannes 2018 avec Dogman. Noir et désespéré, le cinéaste nous livre, sans compromis, le portrait d’une Italie crasseuse, violente, et qui laisse ses « chiens » sur le bas-côté de la route. Ce conte funèbre s’avère beau et parfois puissant, mais il manque un petit quelque chose, un brin de poésie pour faire décoller le film.
Le réalisateur italien a toujours aimé les décors pittoresques, cette humanité à l’incarnation un peu grossière. Dogman s’inscrit dans cette voie-là : un pensum esthétique et sombre comme un couteau dans le dos, et qui idéalise une déshumanisation certaine. Le récit nous plonge dans la vie de Marcello, petit toiletteur pour chien, vendeur de drogue à la sauvette pour joindre les deux bouts et offrir des cadeaux à sa fille. Le problème étant qu’il va devenir le souffre-douleur de la terreur du quartier, Simone. Dogman, qui s’insérera dans le film de vengeance durant sa deuxième partie, est un huis clos de quartier inquiétant et suintant la misère dans une zone de non-droit assourdissante.
Avec sa photographie grisâtre, son environnement médiocre aux alentours d’une station balnéaire laissée à l’abandon, Matteo Garrone interroge sur la question de la violence et de sa place dans une Italie qui rend coup pour coup, laissant ses habitants à la merci d’un homme fou et violent qui fait la loi dans la ville. D’un point de vue corporel, Simone est un mix entre « Thanos » et le personnage de Matthias Schoenaerts dans Bullhead : un monstre physique qui frappe et détruit tout ce qui bouge sur son passage s’il n’a pas ce qu’il veut. Comme si l’on voyait le corps d’un dieu de la guerre avec l’esprit d’un enfant. Marcello, c’est tout le contraire, avec son physique à la Eric Zemmour : il est victime de naissance, essaye tant bien que mal de faire marcher son affaire et commence à se faire apprécier de ses voisins.
Pourtant, Dogman, suite aux péripéties qui entraineront Marcello dans les zones d’ombre, montrera une Italie de quolibets où les rumeurs de quartiers et l’incompétence de la police feront rage. Intéressant dans son propos, et utilisant à bon escient la sympathie qu’amène l’acteur Marcello Fonte, Dogman trouve assez rapidement ses limites.
Matteo Garrone utilise le cinéma de genre, celui de la vengeance et de la justice personnelle, pour s’indigner contre une forme de totalitarisme étatique, étant l’allégorie de l’italie de notre époque, mais a du mal à amplifier son récit d’une aura autre. Dotée de quelques scènes violentes et sanguinolentes où même le spectateur sentira les coups passer, l’œuvre, comme on pouvait s’y attendre, s’attarde avec mélancolie et tristesse sur l’animalité de l’Homme.
Surtout dans son climax final, voyant Marcello, la bave aux lèvres, crier dans le silence comme un chien qui aboierait pour appeler ses maîtres et leur apporter son os comme trophée. Cette mélancolie apporte de l’épaisseur à cette mise en scène cloîtrée et suffocante, et dresse ce constat implacable d’une humanité qui n’est plus, et qui a laissé place à une jungle animale et maladivement primitive.
Créée
le 9 juil. 2018
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