Avec Don’t Come Knocking, Wim Wenders nous emmène à la recherche du mythe du grand Ouest américain, du sens de la vie et de l’amour. Porté par des personnages troublants, l’histoire nous conte l’impossible retour en arrière du héros, et, au final, l’impossible retour de Paris Texas.

Quiconque a aimé Paris Texas ne pourra pas ne pas aimer Don’t Come Knocking. Quiconque s’est senti profondément troublé par l’écriture de Sam Shepard dans Paris Texas ne pourra pas ne pas être troublé par le personnage qu’il campe dans Don’t Come Knocking. Car l’analogie ne peut manquer d’être faite. Lorsqu’il y a un peu plus de vingt ans, Wim Wenders découvre les « Motel Chronicles » de Sam Shepard, il le contacte dès la lecture achevée pour lui demander d’en faire un film. Ce à quoi l’acteur-écrivain lui répondit « why not ? », mais qu’il n’y voyait pas un grand intérêt. Résultat, Sam Shepard et Wim Wenders travaillèrent ensemble sur le scénario de Paris Texas, qui obtint la Palme d’Or à Cannes en 1984, alors que le film en était au premier jour de mixage le jour de l’ouverture du festival ! Alors que le Travis de 1984 semblait à Sam Shepard trop proche de lui pour qu’il le joue en toute sincérité, cette fois-ci, il a accepté de camper lui-même le personnage du héros.

Don’t Come Knocking débute par une fuite en plein désert américain : Howard Spence, héros de western quinquagénaire, quitte à cheval le tournage d’un film, laissant l’équipe en plan. Se débarrassant de sa monture et de ses bottes de cow-boy, il part, en chaussettes, retrouver sa mère (Eva Marie Saint, parfaite de sobriété) qu’il n’a pas vue depuis vingt ans. Celle-ci lui apprend qu’il a un fils quelque part. Howard se met alors en route vers celui-ci, vers son passé, en quête d’un sens à sa vie. Arrivé à Butte (Montana), ville fantomatique, qui semble avoir laissé ses rêves au vestiaire et se laisse vivre, qui ne ressemble plus aujourd’hui qu’à un décor de cinéma où Howard tourna autrefois un film , l’acteur sur le déclin retrouve Doreen (Jessica Lange), l’amour de sa vie, et découvre leur fils, Earl (Gabriel Mann). Personnnage inattendu dans cette déambulation dans le passé, Sky (Sarah Polley), qui transporte les cendres de sa mère avec elle et qui pourrait bien être née d’une brève liaison entre sa mère et Howard.

Contrairement à Broken Flowers, où importait moins la rencontre avec le fils que le cheminement dans son passé d’un vieux Don Juan devenu coquille vide, Don’t Come Knocking prend le parti de faire des retrouvailles un matériau dramatique. C’est un film sur les occasions d’amour ratées et sur l’impossible retour en arrière. À vingt ans passés, Earl, pour qui l’absence du père conféra à ce dernier une image idéale, n’en a plus besoin, ne comprend pas son retour. À l’approche maladroite de son père, il répond par une violente dispute avec sa petite amie, et en jetant le contenu de son appartement par la fenêtre. Dès lors, Howard ne peut que continuer son errance, symbolisée par cette nuit passée sur le canapé balancé dans la rue, déshumanisée et jonchée des souvenirs de Earl.

Les ingrédients de cet opus wendersien ne sont pas vraiment nouveaux, à en juger par les nombreux films sortis au même moment sur la recherche d’un enfant (Broken Flowers de Jim Jarmusch, Keane de Lodge H. Kerrigan). L’intelligence de Wim Wenders dans ce film est d’avoir trouvé un ton. S’il ne retrouve pas toute l’émotion et la justesse de sa Palme d’or, profondément accrochée à la vie, il joue ici sur le tragi-comique (du personnage de Sam Shepard, des situations) pour nous livrer un film qui parle de l’absurde, de l’incommunicabilité. Trouvant un décor parfait comme écrin à l’errance et à la nostalgie, le réalisateur joue sur les couleurs franches, parfois à l’excès, comme pour étaler toute la palette des sentiments gravitant autour d’une souffrance : le regret. Les déclarations d’Howard ne veulent plus rien dire ; belles et touchantes comme la lumière des montagnes rocheuses au-dessus de Butte où les néons du café-concert de la ville, les tentatives du héros pour retrouver l’amour de sa vie restent sans réponse.

L’impossible retour en arrière ou « redémarrage à zéro » se lit aussi dans l’infructueuse tentative d’Howard pour se remettre avec Doreen. Touchant de maladresse, il va jusqu’à la demander en mariage en pleine rue. Demande face à laquelle Doreen n’objecte qu’une chose : « Howard » rime avec « coward » (lâche). À la porte de sa caravane, sur les tournages, Howard Spence avait affiché cette mise en garde, pour ne pas être dérangé avec l’une de ses conquêtes : « Don’t come knocking, if the trailer’s rocking… » Alors qu’il renonce à cette vie dissolue, tous les êtres vers lesquels il se tourne semblent lui crier à leur tour « Don’t come knocking ! »

Don’t Come Knocking apparaît au final comme un “film d’homme” porté par des femmes. Perdu dans le désert de sa vie, Howard se tourne vers des femmes fortes (sa mère, Doreen) pour tenter de se retrouver. Finalement, c’est celle qu’il ne connaissait pas encore, sa fille Sky, qui parle d’un futur possible. C’est elle qui lui offre sa tendresse et l’aime à sa façon, elle qui tend la main vers son frère. Au bout du compte, c’est l’amour fraternel qui aura gagné. Sky au prénom céleste campe cette figure de l’ange chère à Wenders, celui qui par son amour inconditionnel saura peut-être apporter aux autres un avenir serein. Don’t Come Knocking n’est pas Paris Texas, mais il lui ressemble, et c’est pour ça qu’on l’aime.

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Auteur : Wesley
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le 7 déc. 2012

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