En mêlant de la sorte la douleur et la gloire, Pedro Almodovar tire une œuvre à la fois très personnelle, aux résonances autobiographiques on ne peut plus évidentes, et tout à fait universelle quant à cette énergie obscure dont l’artiste est pourvu et qu’il explore par la création. Le cinéaste se peint sous les traits d’Antonio Banderas et se propose de remonter à la source du désir, ce manque qui fait écrire et qui fait filmer. Désirer conjugue une puissance érotique et une hantise de la mort, toutes deux présentes dans ce même corps souffreteux qui tente, tant bien que mal, de pallier le mal par des paradis artificiels dont le seul effet est d’éprouver les êtres : la drogue agit dans le film à la manière d’un accélérateur de particules capable de mobiliser des zones du cerveau jusqu’alors inexplorées, et dire qu’elle éprouve les êtres n’est nullement péjoratif car, derrière l’esclavage qu’elle exige, se cachent des trésors sensibles. La mise en scène joue habilement sur la porosité entre fiction et réalité, la fiction étant une parcelle de réalité : le geste cinématographique ne cesse d’explorer le Moi en cultivant les ellipses sublimes et subtiles, déployant les images de l’esprit comme le faisait jadis Montaigne dans ses Essais : à sauts et à gambades. Et plus le film avance, plus l’artiste remonte dans son temps jusqu’à toucher du doigt le premier désir, le désir qui orne, telle une peinture, sa grotte primitive. Douleur et Gloire n’est pas une œuvre-somme, c’est l’œuvre avant toutes les autres, un puits de lumière auquel Almodovar n’a jamais arrêté de puiser son inspiration et qu’il réinvestit par son amour de la couleur. Essentiellement le rouge, couleur de la passion qui, comme le désir, porte conjointement souffrances et voluptés extrêmes. Un immense film que ces quelques vers empruntés au poète Emmanuel Godo chantent mieux que n’importe quelle critique :



Comme un qui retourne vers la maison abandonnée



Et se rend compte à l’approche sans même



L’épreuve du seuil



Qu’il n’a jamais cessé de l’habiter



En pensée comme en rêve



(Emmanuel Godo, Je n'ai jamais voyagé, Paris, Gallimard, 2018, p. 9)

Fêtons_le_cinéma
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le 17 mai 2019

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