La vérité, c'est que les gens tendent à avoir des idées préconçues avant d'aller voir un film quelconque. Comment peut-on pleinement apprécier DBE si, au préalable, on l'a déjà enterré ? Il faut laisser une chance à cette adaptation qui, sans en avoir l'air, délivre des trésors insoupçonnés. Comme le vin, certaines bouteilles ne se livrent pas d'elles-mêmes : il faut alors la décanter et l'adoucir pour en soutirer toute la quintessence. En fait, le charme sans commune mesure de Dragonball Evolution réside dans un fait que peu semblent avoir saisi : il n'a jamais été question d'adaptation, on a toujours eu affaire à une inspiration. Tel est le miracle !

Bah oui, les scénaristes se sont simplement "inspirés" de l'œuvre originelle, au lieu de l'adapter, afin de concevoir leur script et leur propos. Il faudrait être sacrément borné pour dire que l'exercice n'était pas osé, car il l'est. Et précisément, le premier mérite du film se trouve ici. Souvent, le portage d'une œuvre culte au cinéma foire parce que les réalisateurs se contentent de suivre la vox populi : ils portent à l'écran l'exacte réplique du support d'origine, presque mot pour mot, et ficelle pour ficelle. Mais c'est une erreur ! Car ce faisant, ils oublient que la toile n'est en rien identique au papier. Ce qu'on peut transcrire à travers des planches ou des textes ne pourra jamais être comparé tout à fait à ce qu'un écran peut transmettre. Le secret, c'est la déviance.

Et quelle œuvre déviante ! La réécriture du mythe Dragon Ball relève du pur génie. Je vous le dis, et je le crois sincèrement. Il n'est pas question ici de dénaturer le manga de Toriyama : le film le réinvente ; ce qui, convenons-en, est loin d'être une mince affaire. Ce qui caractérise DBE, c'est un amour absolu pour le dessinateur japonais. Lorsqu'on aime, mais pas passionnément, on se contente souvent d'un travail dit du moindre effort : une pâle copie sans saveur. James Wong a compris que son film ne pouvait se frotter à Dragon Ball, parce que avouez-le, ce serait dérisoire de tenter une approche fidèle d'un manga qui a fait rêver toute la génération 80's ou presque. La seule latitude qui lui restait était par conséquent une totale renaissance. Et il l'annonce de lui-même jusqu'au titre de son film, il fallait une "évolution", donner un nouvel essor à un manga qui a mal vieilli diront certains, ceci, afin de réinjecter dans les mœurs un intérêt nouveau. Cessez de faire les mufles, vous ne pouvez pas dire que vous n'étiez pas prévenus.

D'ailleurs, les premiers plans, exquis, du film préparent admirablement bien le spectateur et, comme un disclaimer, Wong nous met face à nos convictions. La sueur qui tombe goutte à goutte de Goku est un symbole fort : le héros du temps jadis est fatigué de ses longs combats. Assimilable à des larmes, cette sueur qui se draine de son corps est caractéristique de sa lassitude. Dès l'ouverture, on nous le murmure : Evolution va donner une nouvelle vie au personnage de Toriyama, une seconde jeunesse, matérialisée par sa psychologie très actuelle. La séquence qui suit n'est pas en reste. Combattant son grand-père sur deux cordes minces, Goku nous prouve à quel point sa vie passée ne tenait qu'à un fil. De plus, par des ralentis très inspirés, le réalisateur s'amuse à dilater le temps, nous soufflant docilement à l'oreille que son film n'a rien de réel : il est distordu et réinvente même la réalité, ni plus ni moins. De tous les fans de Dragon Ball, qui n'a jamais rêvé de savoir à quoi ressemblerait la vie de Goku s'il n'avait pas tué Gohan alors qu'il était gosse ? DBE nous offre une réponse qui s'était fait attendre depuis près de vingt ans !

La caméra dans Dragonball Evolution est ultra-mobile, elle flotte en même temps que les mouvements de Goku, le cadrant avec une sincérité touchante. A ce titre, l'échelle de plan est en circonvolution constante et d'intense façon : lors de pratiquement tous les combats, elle filme aussi bien les protagonistes de près que de loin, donnant une saveur unique à ces scènes dantesques. Lorsqu'elle est loin, la caméra nous procure cette impression bizarre que ce qu'elle filme n'est pas important, que l'on est extérieur à cet univers. En un sens, les plans eux-mêmes nous apportent des clés de compréhension. Dragonball Evolution, c'est un regard distant sur l'œuvre originale, une sorte de déformation à distance donc. L'important n'est pas ce que l'on voit mais – et le film le dira texto – ce qu'on est. Une preuve, une autre, s'il en est, que DBE remplit un rôle énorme. Il nous annonce que Dragon Ball est intemporel, transposable à n'importe quelle sauce. Bien sûr, ce n'est qu'une tentative, mais voyez ce qu'il est possible de faire avec sa mythologie...

A propos... James Wong revisite intégralement la mythologie Dragon Ball, et confronte sa vision des choses avec le monde actuel. En un mot, il modifie les enjeux pour les rendre plus à même d'intéresser directement le tout Paris : gels coiffants longue durée, tenues stylisées, voitures customisées, bals dansants, amourettes lycéennes. Un champ remarquable est exploré pour notre plus grand plaisir. Et puis, on ne le dira jamais assez mais réduire la quête, initialement très longue, des sept boules de cristal à son strict minimum scénique, il fallait y penser. Justifier un tel choix efficacement n'est pas donné à n'importe qui. Or, par l'éclipse solaire ainsi que la première règle (pas de règle), aux relents d'un Fight Club déjà vieillissant, James Wong nous confirme que son film est résolument jeune et tendance, à la lisière d'une apologie du renouveau. De même, Piccolo, démon empreint de férocité, voit son rôle se limiter outrageusement à deux simples apparitions ; la première pour s'introduire, la seconde pour se faire démonter. Encore une fois, pendant que Dragon Ball perdait cinquante ans de vie à chaque combat, DBE nous lorgne avec un somptueux pied de nez : voilà pour vos combats solennels et longuets, réduits à leur juste nécessaire !

Vous l'aurez compris, Dragonball Evolution n'est pas une banale adaptation, détrompez-vous ! C'est une merveille qu'il convient de savourer de la manière la plus juste possible.

Hélas, il est déjà tombé dans l'oubli le plus abyssal : que vois-je, un crime ? De toute façon, les génies visionnaires ne sont jamais reconnus de leur vivant...
Stefan
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le 8 nov. 2010

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Stefan

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