Refoulés
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le 24 nov. 2014
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Je voulais voir ce film depuis un moment de par son sujet, la période french touch, époque où le genre disco house dont je raffolais étant gosse déferlait un peu partout sur les ondes, les clips vidéos, etc, pour ce visionnage j’étais vraiment dans l’optique de m’immerger dans les soirées club des années 90, de rencontrer des personnages, de voir leur parcours, les coulisses, le succès, les déboires, au final je n’ai pas été déçu, même si le film garde quelques petits défauts.
Eden va principalement s’attacher au destin de Paul, jeune DJ, qui va lâcher ses études pour se lancer à bras ouvert dans le monde des nuits parisiennes, s’entourer d’amis, collectionner les conquêtes, puis créer un duo pour tenter de percer, il est plein d’espoir à l’image de cette décennie nineties, mais la quête du bonheur est semée d’embuches et il se rendra vite compte qu’elle se paye cher. Car des ombres planent au travers des spots de nightclubs, les plaisirs semblent éphémères, les années passent et les souvenirs subsistent, la joie fait place à une certaine morosité, on sent au fil du film que pour une partie des personnages le train est passé et qu’ils n’ont pu s’y accrocher, s’en suit une lente descente aux enfers arrosée d’alcool et saupoudrée de drogue, la dépression, les désillusions amoureuses, la précarité, on voit des gens s’accrocher à la vie en tentant de réaliser leurs rêves malgré tout.
La réalisatrice Mia Hansen-Løve arrive a capter cette fragilité, son film est avant tout un drame moderne plutôt qu’un long métrage sur un courant musical qui sert lui davantage de toile de fond, le parcours de Paul est comme on pourrait l’appeler le "French Dream", en matière de tremplin pour les DJ les années 90 étaient une véritable aubaine, des artistes américains venaient à Paris, puis les parisiens se rendaient à New York pour mixer, le circuit fonctionnait complètement, il suffisait d’avoir le talent et l’audace, et Eden montre aussi à quel point ce rêve peut être cruel, car la carrière de Paul va connaitre son apogée très rapidement pour ensuite chuter petit à petit, alors que de leur côté les Daft Punk eux, démarrant dans le même temps, connaitront une ascension fulgurante à travers le monde, cette symbolique de chemins croisés revient souvent dans le film, la meilleure est je pense celle où Paul est là à déprimer dans un bistrot avec ses potes alors que Veridis Quo passe en fond sur NRJ, comme pour le narguer.
Ce qui m’a vraiment plu c’est ce sentiment de nostalgie qui rempli le personnage de Paul, les ellipses fonctionnent formidablement bien, on voit le cadre évoluer tandis que lui reste le même, il reste figé en quelque sorte dans le temps et convaincu de voir sa carrière décoller, en vain, tandis que ses anciennes petites amies deviennent mamans et responsables lui apparait comme un éternel teenager, l’impasse est perceptible. La dernière partie est d’ailleurs assez triste lorsqu'il se rend réellement compte que ses illusions sont loin derrière lui, en voyant son club transfiguré où les ambiances chaudes ont laissés place à un calme presque sordide, c’est la fin, impossible de revenir en arrière.
La musique garde un rôle important, au delà de disposer d’un bande son ultra plaisante le film s’en sert à juste titre et sait l’appuyer au moment où il faut, entre être contextuelle et sensitive, d’ailleurs il y a certains morceaux que je n’avais pas réentendu depuis une quinzaine d’années, ce qui est particulièrement cool, preuve encore de la richesse de cette époque, beaucoup de parcelles qui font ressurgir ses instants passés à mater les clips underground de M6 tard la nuit.
Après pour ce qui est des défauts du film je dirais que l’interprétation ne sonne pas toujours très juste, sans doute due aux certaines faiblesses de mise en scène et/ou d’écriture de Hansen-Løve, pourtant l’idée de faire jouer des acteurs peu connus (à l’exception de Vincent Lacoste et Greta Gerwig) est bonne, il manque parfois cette étincelle de talent dans certains dialogues, de même que revenir parfois avec insistance sur les Daft Punk comme pour titiller le spectateur néophyte à base de gros clins d’œil sur-écrits. Et puis le contenu est tout de même un peu long, même si c’est après tout justifiable compte tenu du sujet très humain au final, de s'attarder sur des moments bruts, mais le film aurait je pense gagné en fluidité à couper 20 bonnes minutes, je ne doute pas que beaucoup seront dérangés par le rythme, pour ma part je ne l’aurais été qu’assez peu, car il faut dire que si on s’attache un minimum aux protagonistes le boulot est déjà à moitié fait.
Eden est à mes yeux un film réussi, qui remplit son contrat, avant tout un bon moment qui plaira en priorité aux trentenaires ayant connu cette période, il souffle un degré nostalgique à la fois beau, sensible et triste, le reflet d’une génération perdue dans ses fantasmes, sorte de parcours initiatique des réalités de la vie qui laisse dérouler trois décennies entre la folie suave des nightclubs 90s au désespoir d’une chambre tapissée de souvenirs.
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Créée
le 14 mai 2015
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