Blockbuster de l'été : film classique au scénario écrit par un scénariste frustré en manque d'action et de répétition ? Peut-être. Le synopsis de ce film, des machines extraterrestres envahissant la planète pour éradiquer l'espèce humaine, peut paraître tout à fait ordinaire, surtout en cette période où, qu'on le veuille ou non, depuis 2012 la fin du monde est très à la mode. Mais il faut avoir la curiosité d'aller voir un peu plus loin que cela et être prêt à manger des obus et des boulons bien graisseux. La principale touche originale du film durant son ouverture se trouve dans le personnage principal, incarné par Tom Cruise. Il est un poltron, un officier sans valeur, qui essaie de subir la guerre de la façon la moins dure possible en s'éloignant du front. Ainsi, lorsqu'il se retrouve malgré lui en première ligne, son attitude gauche complètement inoffensive rappelle la non prise de risque du scénariste jusque là : l'adrénaline de la guerre (et de la réussite), c'est bien lorsqu'on l'imagine mais il faut de l'expérience pour se jeter dans la mêlée et en ressortir victorieux. Les hommes, même améliorés, se font massacrer par les machines et quand soudainement le meilleur des soldats, surnommée l'Ange de Verdun se joint à la bataille, elle meurt en un instant sous les yeux écarquillés de l'enfant qui venait à peine de réaliser à qui il avait affaire. C'est la panique, le spectateur innocent se demande qu'est ce qui a bien pu le pousser à venir voir cela. Quand un changement totalement inattendu s'opère : le personnage, après une mort horrible, se réveille la veille de l'attaque, il a maintenant le don de revenir un jour plus tôt à chaque fois qu'il mourra. Alors le parallèle avec le jeu vidéo et toute ses possibilités devient évident et c'est un plaisir pour le spectateur de voir tout ce que ce concept de « respawn » (expression désignant la réapparition des personnages dans les jeux vidéos) implique au cinéma en matière de montage ou de scénario. La première journée avant la bataille paraît truffée de détails inutiles, de multiples plans larges sur la base militaires, sur des soldats s'entraînant dans tout les sens. La première réapparition vient tout bouleverser, comme un deuxième montage possible où l'on changerait de subjectivité. Le but n'est plus de montrer l'enfant Cruise étonné qui essaie de fuir le combat mais plutôt quelqu'un qui essaie de comprendre ce qui lui arrive, s'il a véritablement déjà vécu ce qui se passe autour de lui. Les contre-champs ne sont plus nécessaire, le spectateur tourne autour de ce personnage qui commence à peine à comprendre ce que l'on a compris dès le second réveil. Et ainsi donc, comme une partition, les variations s'enchaînent, l'enfant comprend certaines choses, il s'entraîne et comme dans un jeu vidéo, il se met à ne plus craindre la mort et devient l'homme viril que Tom Cruise à l'habitude d'incarner. Mais le film ne fait pas l'erreur de s'enfermer dans le genre du film d'apprentissage où le héros vainc ses peurs pour sauver le monde. Au contraire il joue là-dessus grâce à ce procédé de réapparition. Le fait d'être immortel, ou mortel à l'infini, permet au personnage de mourir des façons les plus ridicules (écrasé à maintes reprises par un camion intempestif). Il n'atteint d'ailleurs jamais vraiment la maestria du héros antique, il apprends plutôt à comprendre l'ennemi, à accepter le fait qu'il ne peut être que vaincu. De même du point de vue scénaristique, les possibilités sont sans limites : une action ne va pas dans le sens du personnage, il se suicide, et tout recommence. Cela parfait une certaine vulnérabilité chez le personnage principal. Ce n'est plus un Harrisson Ford ou Daniel Craig. Cette rupture dans l'espace-temps permet de créer un nouveau rapport avec le spectateur, les liens logiques se créent avec presque rien, cette omnipotence spectatorielle n'a jamais été aussi plaisante à ressentir.
Même si la brutalité apocalyptique de ce film peut rebuter (redondance du cinéma du moment) Edge of Tomorrow vient bousculer tout cela pour tendre vers une conscience transmédia du spectateur. Clairement proche du jeu vidéo, les différentes "vies" de Tom Cruise peuvent être aussi perçue de façon similaire à la série télévisée mais une série particulière où le scénariste pourrait jouer indéfiniment avec les actions et leurs répercussions dénudées de toute importance. Le spectateur pourrait alors être de la partie, comme c'est déjà le cas dans certaines séries où les scénaristes sont ouverts aux attentes des spectateurs. Le but économique se joint alors au plaisir, c'est toujours ça de pris.