Voir un réalisateur refaire quasiment un de ses films n’est pas a priori une perspective réjouissante ; mais lorsqu’il s’agit de Hawks et de son mythique Rio Bravo, la réussite peut être au rendez-vous.
El Dorado reprend donc la trame de son illustre aîné, à quelques modulations près. Sur le terrain si balisé du western c’est finalement peu gênant : Wayne reste fidèle à son rôle de patriarche, contraint à endosser le statut du shérif quand bien même il aurait déserté la ville, Mitchum n’a pas besoin de composer grandement pour jouer l’ivrogne en roue libre, et James Caan reprend la figure du jeune chien fou autrefois tenu par Ricky Nelson (de Colorado Ryan, on passe à Mississippi, c’est dire si la filiation est assumée…)
L’intrigue au long cours offre ainsi une nouvelle déclinaison de la ville à la merci d’un tyran : qu’il soit brigand ou riche propriétaire, c’est bien de son excès de pouvoir que son entourage étouffe. Sa figure est à peine esquissée, mais dont les hommes de mains semblent présents à chaque coin de rue, ce qui permet à Hawks de confirmer sa maitrise de l’espace : la rue de tous les dangers, le bar sous la domination de l’ennemi, la prison locale transformée en cellule de dégrisement pour le shérif lui-même, et jusqu’à une église lors d’une fusillade particulièrement audacieuse en terme de prises de vues : plongées extrêmes, explosions diverses et chutes des corps sur la caméra elle-même : le cinéaste, à 70 ans, n’a rien perdu de sa vigueur.
Face à cet ennemi presque anonyme, c’est l’humanité du trio davantage que son héroïsme qui lui confère son véritable charisme. On retrouve cette ambiance virile de beuverie et de poings qui viennent à peine voiler les éclats de rire, un principe déjà en vigueur dans La Captive aux yeux clairs. Leur maladresse est d’ailleurs particulièrement soulignée : entre l’incapacité à viser du plus jeune et les handicaps physiques des deux autres, le trio est bien mal en point, voire ridicule (James Caan jouant le chinois aborde les lisières méconnues de l’absurde…) Si l’on ajoute la participation d’une jeune femme rebelle (Michele Carey qui ne semble avoir brillé que dans ce film…) au brushing un peu trop impeccable pour être honnête, la troupe au complet est parfaitement sémillante.
Vivace, entièrement inféodé au pouvoir de séduction de son prestigieux casting, El Dorado n’est pas tant une hagiographie héroïque qu’un film convivial : quand on y pense, cette capacité à séduire le plus grand nombre compte parmi les armes les plus redoutables de l’usine à rêves.
(7.5/10)