Emprise
6.6
Emprise

Film de Bill Paxton (2001)

Révélé dans les premiers films de James Cameron (Terminator, Aliens), Bill Paxton est de ces éternels seconds rôles dont on reconnaît facilement le visage sans toutefois parvenir à lui donner un nom. S'il s'est longtemps contenté de plusieurs rôles de faire-valoir avant d'investir progressivement le haut de l'affiche (Twister, Un plan simple) Paxton n'en est pas moins resté un acteur de second plan, extrêmement modeste mais pas moins estimé par ses pairs.


En 2001, Paxton envisagea autrement sa carrière en réalisant son premier long-métrage, passé presque inaperçu par chez nous à l'époque et encore largement méconnu aujourd'hui. Autant dire tout de suite qu'avec Emprise, l'acteur-réalisateur ne choisissait certainement pas la facilité en s'attaquant à un sujet des plus délicats, apte à offenser la critique bien-pensante de l'époque qui ne manqua pas de voir en ce film un discours réactionnaire et nauséabond.


Une nuit pluvieuse, Fenton Meiks (Matthew McConaughey, impeccable), se présente dans un commissariat et demande à parler à l'inspecteur Doyle en charge de l'enquête sur un tueur en série surnommé La Main de Dieu. Acceptant à contrecoeur de le recevoir malgré l'heure tardive, Doyle (Powers Boothe) écoute le récit de Fenton lequel prétend que le tueur en série qu'il recherche s'est donné la mort le jour-même, incapable de faire taire les voix qui lui commandaient de tuer. Si Fenton le sait, c'est que le tueur en question était son petit frère Adam et que ce dernier lui a tout avoué peu avant de se donner la mort. Doyle n'accorde pourtant que peu de crédit à son histoire, blasé par tout ce qu'il a vu et entendu auparavant. Face à la perplexité de l'inspecteur, Fenton lui raconte alors son enfance avec son frère et ce qui a conduit ce dernier à devenir un meurtrier. Tout commença lorsque Fenton avait dix ans. Son père, un brave redneck élevant seul ses deux fils depuis la mort de sa femme, les réveille un soir dans leur chambre pour leur confier avoir entendu un ange lui commander de tuer une personne en particulier, un inconnu dont le nom ne lui dit absolument rien. Suite à cette révélation plus que troublante, Fenton ne sait que penser de l'état mental de son père. Celui-ci est-il devenu subitement fou au point d'entendre des voix et de passer ensuite à l'acte ? Lui, un homme foncièrement bon, qui l'a toujours élevé avec amour et dévotion, dans le respect des valeurs chrétiennes. Face à la détermination grandissante de son père à rendre ce qu'il prétend être la justice de Dieu, Fenton prend peu à peu peur. Son frère par contre, plus jeune et donc plus influençable, croit rapidement aux propos délirants de leur père et refuse d'écouter les mises en garde de Fenton. Un soir, leur père les emmène dans la grange et leur révèle le contenu du coffre de sa voiture. A l'intérieur s'y trouve une femme ligotée et bâillonnée, tremblante de peur...


Le fantastique dans sa définition première relève fréquemment du surnaturel mais pas toujours. Le genre se pose parfois plus subtilement comme une ligne de démarcation vacillante, hésitant constamment entre explication rationnelle et possibilité surnaturelle. Le fantastique par définition joue donc habilement de la suggestion et du doute vis-à-vis de la santé mentale de celui (ou ceux) qui subissent des événements inhabituels au sein même de leur quotidien.


En ce sens, Emprise s'impose comme un remarquable modèle du genre, Paxton entretenant méthodiquement le doute quand à la santé mentale du personnage du père Meiks (qu'il incarne d'ailleurs avec beaucoup de justesse, s'offrant du même coup l'un de ses meilleurs rôles). Ce brave homme sans histoire a-t-il définitivement perdu la raison au point d'essayer de faire croire du bien-fondé de ses actes homicides à ses propres enfants et ainsi les contaminer de sa propre folie ? Ou bien alors...


Une telle histoire est évidemment sujet à polémique, la plupart des critiques de l'époque ayant alors taxé Paxton de réac pur et dur, adepte de la peine capitale et de l'auto-justice. Car son personnage est tellement convaincu de la culpabilité de ses victimes, profondément enfouie sous un masque de parfaite innocence larmoyante, qu'on finit nous-même par le croire et envisager la piste surnaturelle, voyant en la bonté contradictoire de cet homme apparemment sain d'esprit, un potentiel élu de dieu capable de discerner les péchés inavouables de ses victimes et cela rien qu'en les touchant. Horrifié par ce qu'il semble voir à l'instant même où il les effleure, ses derniers vestiges de doute s'efface alors pour laisser place à la froide détermination homicide et vengeresse.


Le titre français Emprise semble évoquer un potentiel film de possession démoniaque, un de plus. Hors, le film n'en est finalement pas très éloigné, Paxton ne faisant qu'en reprendre l'argument en l'inversant radicalement, brocardant du même coup les dérives fanatiques de la religion et des crimes perpétrés en son nom.
Emprise de la religion donc, mais aussi emprise de l'ascendance paternelle sur sa progéniture, le plus jeune des deux enfants adhérant très vite à la croisade de son père, affirmant avoir les mêmes visions que lui concernant la culpabilité des démons désignés. Mais Fenton, l'aîné des deux fils ne perçoit rien de ce que prétendent voir son père et son frère. Son point de vue rationnel, sa foi défaillante vis-à-vis d'un dieu vengeur et cruel et son refus absolu d'adhérer à cette folie, le conduiront inévitablement à s'opposer à son père.


SPOILER
Ce qui porta amplement préjudice au film à sa sortie en salles, c'est évidemment cette révélation finale (quelque peu prévisible mais là n'est pas l'intérêt) en laquelle beaucoup virent une apologie de la peine capitale et taxèrent aussitôt Bill Paxton de véritable facho adepte de la justice radicale, condamnant du même coup son film sans autre forme de procès. Les châtiments ne seraient au final que justice et (autre révélation) appliquées par un représentant de la loi qui plus est, lequel se substitue ainsi aux rôles de juge et de bourreau. Des critiques dénonçant une morale volontairement nauséabonde, alors totalement aveugles au fait que si Paxton épouse le point de vue de son justicier, il se garde bien de cautionner ses actes. Car ici c'est bien Fenton qui organise la narration au gré de ses souvenirs, arrangeant la vérité à sa guise, selon son point de vue, forcément subjectif. Un processus du discours proche en cela de celui d'un certain Verbal Kint dans Usual Suspects cinq ans plus tôt, l'effet de surprise en moins. Les allers-retours entre passé et présent participent amplement à ce sentiment que Fenton ne dit pas tout à son confesseur (et donc au spectateur). Et à la question qui sous-tend toute l'intrigue, Paxton apporte une résolution volontairement ambigu. Une réponse explicitement surnaturelle certes, mais cela ne veut pas dire pour autant que le réalisateur cautionne le meurtre au nom de dieu. Car au final toute divine puisse être cette justice-là, elle n'en est pas moins humainement condamnable. Et d'ailleurs, Paxton joue consciencieusement de la mise en place d'un processus d'identification, s'appuyant sur le discours de Fenton pour nous berner sur ses intentions finales.


Tout autant que le questionnement moral de son intrigue, le film vaut aussi pour son atmosphère fascinante de folie latente, Paxton ne se privant jamais de souligner la noirceur de l'âme humaine par les regards tour à tour effrayés, suspicieux et coupables que se jettent les protagonistes. L'intrigue étant plongée dans une ambiance essentiellement nocturne, chaque séquence diurne prend une valeur fallacieuse, le jour n'y faisant que masquer la monstruosité inhérente à certains personnages ainsi qu'à révéler de manière évidente leurs crimes passés (l'essentiel des crimes commis par les dits démons se déroulent en plein jour, contrastant ainsi avec l'obscurité de la grange où ils sont exécutés). Le plan final en prend une valeur d'autant plus ambigu en nous montrant le "héros" en pleine lumière du jour, serein et prêt à punir d'autres "méchants".
FIN DU SPOILER


Avec ce premier film, Paxton livre une oeuvre volontairement équivoque dont la noirceur du propos n'a d'égale que celle qui environne constamment les personnages. Son film prend parfois des allures de récit onirique, la mise en scène rôdant toujours à la lisière d'un certain fantastique gothique avec ses paysages nocturnes aussi brumeux que la morale du film. Peuplé de personnages troubles et inquiétants (les Meiks, leurs victimes et même l'inspecteur Doyle), Emprise devient progressivement un film aux allures de cauchemar éveillé, une dérive fantastique aux confins de la folie biblique, capable d'anéantir autant de coupables que de familles innocentes.

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le 18 avr. 2015

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Buddy_Noone

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