En avant
6.8
En avant

Long-métrage d'animation de Dan Scanlon (2020)

S’il ne constitue pas la principale attente vis-à-vis du catalogue en expansion des studios Pixar, En Avant a une importance capitale dans l’avenir de la boîte après une longue période faite de suite à leurs principales classiques dont la qualité varie entre la catastrophe insoupçonnée (CARS 2) et le bijou inespéré (Toy Story 4) en passant par le potable mais inutile (Le monde de Dory) et 3/4 créations originales ayant assaisonné ces quelques années.


Tout d’abord parce qu’il constitue l’un de ces rares films de la boîte qui doivent impérativement faire leur preuve sans qu’unes des principales figures iconiques du studio d’animation ne soit à l’origine du film (Docter, Stanton, Lasseter, Unkrich et Brad Bird). Preuves qui doivent également être faites par la main de Dan Scanlon qui a pour long-métrage unique au sein de la compagnie Monstres Academy et qui ne me laisse personnellement pas un souvenir impérissable jusqu’à présent. D’autant que ce road-movie de fantasy est loin de susciter des attentes semblables auprès du public qu’un Les Indestructibles, que Coco ou encore un Toy Story. Et aussi parce qu’étant coproduit par la compagnie Disney, il sera le premier film à sortir sous l’ère Jennifer Lee qui en est l’actuel directrice en chef de Walt Disney Animation Studio (Pete Docter ayant repris les rênes de Pixar suite au départ de John Lasseter). Ce film a donc le lourd devoir d’annoncer l’avenir de la boîte dérivée de Luxo Jr. après une période ou l’image du studio était loin d’être pleinement assuré.


Une fois l’introduction déroulée et la transition du monde d’héroïc fantasy à la technologie moderne présenté, Dan Scanlon va tout de suite afficher des ambitions mesurées mais pertinentes avec le cercle familial sur lequel la future épopée va débuter : Ian et Barley Lightfoot, deux jeunes adolescents fêtant leurs 16 ans et chacun semblant aborder différemment l’absence physique de repère paternel depuis leur enfance. Le premier étant un adolescent timide et réservé cherchant en son père un modèle pour mûrir, et cherchant sa voie avec le peu de repère physique qu’il a en main


(des photos de sa chambre et du pull de son père jusqu’au témoignage d’un ancien camarade d’Abilgail qui a reconnu le vêtement de ce dernier).


Tandis que l’aîné, Barley, assume son âme de geek et fan de jeu de rôle plus exubérant (très probablement inspiré de l’expérience personnelle de Scanlon à mon avis), et il montre un esprit d’entreprise totalement opposé à la froussardise apparente de Ian mais a surtout des souvenirs mémoriels de Wilden.


Pas de doute possible sur l’aspect buddy-movie évident, moins encore sur le road-movie avec pour toile un monde moderne ou l’héroïc fantasy a pas mal foutu le camp au profit des technologies actuelles. Mais il y en a encore moins sur le lien fraternel fort entre Ian et Barley qui est le fer de lance d’Onward : d’un détail en apparence insignifiant mais émotionnellement symbolique dans la sphère familial comme le tam-tam de Barley sur les jambes de son père jusqu’à une confession inattendu entre les deux frères concernant de nouveau leur paternel, c’est elle qui fait vibrer leurs péripéties et surtout leur évolution dans leur voyage et leur tentative improbable de revoir une dernière fois celui qui leur a donné vie. Ils démarrent comme des archétypes assez flagrant mais le sens du dialogue comme l’amas de petits détails et l’approche intimiste de Scanlon dans sa réalisation nous font vite voir au-delà de simple archétype.


D’autant que la magie, ici minimisée en raison des progrès technologique le supplantant, devient à la fois le point de départ de la quête de notre duo fraternel, un moyen de mise en lumière sur la vision de l’un envers l’autre et un vœu de foi dans l’évolution progressive d’Ian et de Barley. Bien qu’exploité à but comique (le rapetissement de Barley, le burn-out de Corey la manticore), c’est par l’épreuve mentale et la révélation de soi qu’elle tire son intérêt et sa place. Ian devant alors s’efforcer de voir en Barley autre chose qu’un sympathique loser perdu dans son monde d’imaginaire et confondant réalité et fiction, et Barley qui révèle un intérêt beaucoup moins limité à un simple délire de geek en puissance.


Sa confession sur son quatrième souvenir est ce qui m’a le plus affecté le concernant (ayant vécu une situation totalement similaire récemment) et l’un des moments les plus impactant du film : Barley a eu la possibilité de voir son père une dernière fois avant que la maladie l’emporte, mais a été terrifié en voyant ce dernier sous appareil médical. Le rendant méconnaissable à ses yeux et l’ayant effrayé au point de ne pas pouvoir lui faire ses adieux. La révélation est faite sobrement, les mots simples mais efficace, et succédant à un instant de complicité entre les deux frères tissant presque une harmonie parfait entre la magie, leur quête et eux-mêmes.


D’autant que la magie dans un quotidien trop cartésien et délaissant les richesses et le patrimoine d’une autre époque, elle refait surface dans quasiment chacune des péripéties entamés par les frères Lightfoot : du passage à la tanière de la Manticore (doublée par une Maïk Darah en VF toujours aussi agréable à entendre malgré les années qui se sentent par moment dans sa voix) jusqu’à la fuite façon Thelma et Louise avec Colt le centaure policier en passant par la course-poursuite avec les fées bikers teigneux comme rarement. Les rôles secondaires comme Laurel, la mère des frères Lightfoot, Manticore qui aura obtenu de bon rire de ma part et justement Colt pouvant également avoir une place dans l’existence et la quête initiatique de Ian et Barley.


Bien que l’univers en mode fantaisie moderne soit un peu moins créatif que je l’espérais, ce ne sont pas les petites idées qui manquent pour la rendre attrayante en dehors des rôles principaux et secondaires. Comme les licornes prenant la place des chats de gouttière et des chiens errants, Colt qui témoigne sans le vouloir de sa flemmardise en refusant de courir comme n’importe quel centaure par le passé et se limitant au déplacement par moyen de transport ou encore, et c’est surement l’idée la plus audacieuse et couillu du film : réussir à faire vivre une paire de jambe appartenant au père d’Ian et Barley et à communiquer des émotions par une simple moitié du corps.


Non seulement le défi est loin d’être évident, mais Onward réussit brillamment à tirer profit de ses indices pour faire vivre celui-ci sans parole, rien qu’avec le mouvement et le contact. Rendant alors propice à des moments de comédie très efficace mais aussi de partage très touchante avec nos héros, en plus de créer davantage d’empathie pour eux y compris dans la conclusion finale de leur quête qui trouve un écho quasi parfaite :


une menace ayant été involontairement réveillée (une épreuve compréhensible mais moyennement imbriqué car plus proche d’un boss final d’un jeu de rôle sur table ou d’un RPG que d’une vraie épreuve symbolique ou forte par rapport au parcours de Ian et Barley… et ce malgré une bonne mise en image), Ian fait le choix de se battre et de laisser Barley faire les adieux qu’il souhaitait enfin faire à leur père avant qu’il ne parte. Considérant que des deux, Barley souffrait plus du départ de Wilden(malgré les apparences) que Ian qui lui a fait ses preuves sans nécessairement se rattacher à l’image qu’il avait de son père. Et faisant confiance à son frère après la bataille pour lui transmettre les derniers messages de son père par un geste d’affection que quiconque n’étant pas devenu un cynique de bas étage ou un crevard puissance 10 acceptera et comprendra. Encore une fois, l’instant est très beau, les mots choisis très juste, et le message clair et évident.


D'autant que la direction musicale des frères Mychael et Jeff Danna, bossant pour la deuxième fois chez Pixar, part du modeste pour prendre des envolées et des allures et des variations mêlant modernisme et orchestration plus ancré dans l’héroïc fantasy. Du très bon boulot et surtout pour un projet infiniment plus louable et personnel que le pétard mouillé de 2015 Le Voyage d’Arlo. J’y ajouterais enfin que les deux Star-Talent de la version française, Thomas Solivérès et Pio Marmaï, s’en tire remarquablement bien et montre l’exemple en faisant vivre leurs personnages par la voix sans s’immiscer de façon intrusive (contrairement à un humoriste français récemment que je ne citerais pas).


En plus d’enfin permettre à Dan Scanlon de montrer ce dont il est capable comme conteur malgré ses quelques failles subsistant, En Avant est un road-movie aussi sincère et intimiste qu’il se révèle épique et émouvant. Mais il tourne aussi définitivement la page pour la boîte en confirmant un peu plus qu’une relève de jeunes talent arrive et n’attend que de pouvoir rendre honneur à la tradition de la boîte pour son talent de narration et d’émerveillement dans le domaine du cinéma d’animation. Mais les maîtres sont encore là, et j’attends impatiemment que Pete Docter le rappelle avec Soul d’ici quelques mois.

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