C’est parce qu’elle a été touchée par un documentaire sur une famille pardonnant à l'assassin de sa fille dans le cadre d'un processus de justice restaurative que la journaliste et artiste plurielle Véronique Mériadec a souhaité faire ce film. Ne bénéficiant d’aucune aide financière pour concrétiser ce beau projet, elle a dû ruser pour alléger au maximum le coût du tournage, notamment en choisissant de tourner un huis clos dans une miroiterie. Avec sa créativité et quelques néons de couleurs contrastées, elle a su tirer de son espace de tournage bourré de morceaux de verre et de vieux objets de magnifiques images suggestives..
Dans une esthétique impressionniste à la Wong Kar Wai, elle tempère ainsi le face à face de la mère de la victime et du bourreau par un ballet de fragments d'objets colorés, qui évoquent à la fois le flou des souvenirs et la déchirure des deux âmes blessées. Si ce moment de confrontation où la parole peut enfin trouver la cible qui lui manquait est évidemment très écrit, c'est pourtant la richesse du langage visuel de Véronique Mériadec qui émeut le plus. En plus de l’utilisation de la longue focale pour offrir une étonnante diversité de points de vue à partir d'un unique décor, l'utilisation de séquences en super 8 pour évoquer le passé des personnages finit de donner à son film un charme artisanal et suranné.
Cette forme pimpante qui force l'admiration offre un bel écrin à cette matière passionnante qu'est la justice restaurative, que Christiane Taubira a introduite dans la loi française en 2014. Dans une société où l'obsession sécuritaire et punitive domine, ce film qui montre une voie possible pour exprimer une juste colère tout en retenant les vannes du venimeux désir de vengeance fait beaucoup de bien à notre humanité. Brillant par son utilisation symbolique ingénieuse du décor et le talent de ses interprètes, En mille morceaux, parce qu'il est élégamment dénué de coquetterie et de grandiloquence, se hisse valeureusement au rang des grands petits films.