Dix ans après…
Il est des expériences, et des personnages, dont on ne lâche pas facilement la main. Dix ans après « Nous, Princesses de Clèves » (2011), Régis Sauder a eu envie de retrouver les « princesses » et...
le 18 mars 2022
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En 2009, Regis Sauder avait suivi dans Nous, Princesses de Clèves une classe de français étudiant La Princesse de Clèves pour le bac. L’occasion de se questionner sur la pertinence d’une œuvre séculaire, et de sa capacité à encore rentrer en écho avec la jeunesse du XXIème siècle. Les élèves y tissaient des liens dans leur rapport à l’amour, l’épreuve de la passion et la confrontation au cadre social ou parental.
10 ans plus tard, le documentariste retrouve ce groupe et propose un état des lieux sur une jeunesse qui traverse l’épreuve des premiers pas sans filets ou structure encadrante. Le cadre s’élargit, les espaces des villes et l’étendue des routes accueillent les parcours d’aventuriers d’un monde contemporain qui ne fait clairement pas de cadeau. La précarité professionnelle, les blessures du cœur et le fracas du cadre poursuivent leur contrainte sur des individus qui continuent de s’interroger sur leurs convictions et le rôle qu’ils ont à jouer.
Les confessions à la caméra sont d’autant plus touchantes qu’elles procèdent sur le principe des retrouvailles : avec celui qui avait déjà établi un rapport de confiance, mais aussi entre les différents protagonistes, dont certains ont gardé le contact. Regis Sauder dessine ainsi le portrait d’une génération souvent invisible, sur le point d’accéder à la trentaine, et qui, par le hasard de cette promotion scolaire, investit tous les champs sociétaux actuels, de la lutte antifasciste au mariage homosexuel, du sort des mères célibataires à la tentation d’un eldorado professionnel à l’étranger.
Nous, Princesses de Clèves s’achevait sur une forme d’amertume, formulé par une des adolescentes : « ça me parait vraiment pas possible qu’il y ait quelqu’un qui veille sur nous parce que c’est trop le chaos. Je pense vraiment pas qu’il y a quelqu’un qui soit là pour nous. » En nous, dans son titre même, prolonge et répond à cette douleur de l’esseulement, et dépasse le constat d’échec social auquel il pourrait très aisément se réduire. Les protagonistes se serrent les coudes, expriment ainsi une véritable rage de l’action, et notamment sociale, dans une interrogation qui traverse plusieurs d’entre eux sur le sens à donner à leur profession. En écho au témoignage discret, mais essentiel, de la prof qui les a connus et les retrouve, notamment pour les présenter dans un superbe échange aux élèves masqués de 2020, les jeunes adultes se questionnent sur la fonction publique. Et, en contre-point du constat d’échec quant à ses manquements, de la manière dont ils pourraient contribuer à l’effort de guerre pour que la ruche sociale puisse continuer à bourdonner.
La parole est donc d’autant plus précieuse qu’elle n’invite pas uniquement à l’empathie ou à la visibilité d’une génération qui semble ne compter pour personne. Les écouter, c’est prendre conscience des forces vives à l’œuvre, et qui peuvent aussi ressourcer la fatigue de ceux qui combattent depuis plus longtemps que ces nouveaux venus. C’est s’en remettre à eux, et, en les admirant, reprendre courage pour poursuivre la route.
En version vidéo : https://youtu.be/yLUiaBQLGEk
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le 24 mars 2022
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