Un professeur d'histoire barbu donne un cours sur la dictature dans une université de Toronto, rentre chez lui et couche avec sa femme, sans jamais lui adresser la parole. De jour en jour, son cours n'évolue pas, il est constitué des cinq mêmes phrases qu'il répète en boucle. Disque rayé. Cela explique peut-être pourquoi aucun étudiant ne le salue à la fin de la séance avant de quitter la salle. Il explique que les moyens de conserver le pouvoir en dictature sont toujours les mêmes et qu'on observe une tendance cyclique des mécanismes totalitaires au cours de l'histoire. Subtile mise en abîme de son aliénation dans une routine mortifère. Cet homme ne dégage aucune sympathie, ne semble prendre aucun plaisir à enseigner ou à échanger avec sa compagne, reste mutique. La ville comme l’université est bétonnée. Une brume polluée enrobe les tours et les axes de circulation. Son appartement est vide, ses amis inexistants, il a bien une maman mais ne daigne pas lui répondre au téléphone. Le cadre est posé, la vie, l’émotion, l’humour ne s’inviteront pas à la fête.


Un jour, un collègue le questionne abruptement sur son intérêt pour le cinéma. Alors qu'on s'attend à ce qu'il botte en touche et se renferme dans sa carapace de silence et d'apparente morosité, il demande à son collègue une recommandation de film, et comble de la surprise "quelque chose de léger". Celui-ci lui propose alors Si on veut, on peut (If there's a will, there's a way). Rétrospectivement, ce collègue est la sorcière ou la bonne fée d'un conte merveilleux et le film conseillé l'élixir qui changera la destinée du héros. En effet, à l'issue de cet échange, le fantastique s'immisce dans le récit. Lors du visionnage du film, il remarque en arrière plan lors d'une scène un homme lui ressemblant trait pour trait. Après des recherches, il obtient l'identité de l'acteur, le contacte puis le rencontre dans un hôtel isolé en banlieue de Toronto. Les deux hommes s'observent avec méfiance, inspectent leur totale similitude puis le professeur d'histoire s'enfuit effrayé. Il est déjà trop tard, rien ne pourra arrêter l'interférence et la confusion perverse entre leurs existences respectives.


La mise en scène est soignée, froide, clinique, sans aspérité ou relief particulier. Des images enfermées dans des bocaux de formol, qui ne laissent pas l'esprit se perdre dans une composition ou un hors champ évocateurs. Le film est peu habité malgré la propreté des plans et le standing des acteurs. Il cherche à nous perdre, à nous déboussoler, nous inquiéter mais peine à nous intéresser. La construction des personnages est trop maigre pour qu'on se prenne au jeu des théories explicatives. On se contentera d'une lecture psychologique sur un homme insatisfait et dépressif se prenant à rêver une autre vie, cherchant à se frayer un chemin dans une société oppressante et devant assumer les exigences du couple (et de la paternité) symbolisés par une grosse tarentule.

RoiDesZins
6
Écrit par

Créée

le 7 janv. 2022

Critique lue 80 fois

RoiDesZins

Écrit par

Critique lue 80 fois

D'autres avis sur Enemy

Enemy
JimBo_Lebowski
8

Décryptage du chaos

Après le très surprenant "Prisoners" Denis Villeneuve s'est fait une place chez les réalisateurs à suivre de près, "Enemy" devait être la confirmation, un nouveau thriller certes mais avec une...

le 15 juil. 2014

362 j'aime

27

Enemy
Aerik
5

Je ne pense pas, donc je m'ennuie

Adam (encore le génial Jake Gyllenhaal) est un professeur d'Histoire sans histoire, menant une vie bien ancrée dans une routine entre correction de copies et sexy time sans passion avec sa fiancée...

le 28 août 2014

129 j'aime

5

Enemy
Vivienn
6

Il était deux fois

Denis Villeneuve n'est pas un cinéaste comme les autres : lorsqu'il réalise un polar labyrinthique, il privilégie le fond à la forme, et lorsqu'il sort un thriller allégorique, il fait l'inverse. Sur...

le 30 août 2014

118 j'aime

3

Du même critique

Enemy
RoiDesZins
6

Jaune, austère, hermétique.

Un professeur d'histoire barbu donne un cours sur la dictature dans une université de Toronto, rentre chez lui et couche avec sa femme, sans jamais lui adresser la parole. De jour en jour, son cours...

le 7 janv. 2022