Enemy sorti il y a quelques semaines est le sixième film de Denis Villeneuve remarqué par le génial Incendies et le troublant Prisoners. Difficile d’en parler sans être spoiler, je crois que la lecture de cette critique vous révélera forcément ce qu’est Enemy, alors en quelques mots sans vous spoiler, je vous dirais qu’Enemy est finement conçu, avec une très belle mise en scène, une image sublime, une musique soignée et un jeu d’acteur proche de la perfection. On ne s’ennuit pas un seul instant, et on retrouve le génie qu’on avait perçu dans Prisonner. Allez, courrez en salle vivre l’expérience ! Et si vous l’avez déjà vu, alors vous pouvez lire les lignes qui suivent.

Effectivement on retrouve le génie de Denis Villeneuve, un réalisateur qui confirme là son talent ! Il a un style, indéniable, et une manière de lâcher son spectateur à la fin, haletant, incertain, plein de doute et de soupçon qui laisse à penser qu’il aime qu’on continue à réfléchir sur ce qu’il vient de nous dire. Ce n’est pas un réalisateur nous jetant des paillettes, bien que sa mise en scène soit très belle, et qu’on note certains plans assez onéreux, tout pourtant est ici utile, rien n’est fait pour nous en jeter plein la vue mais plutôt pour nous retourner le cerveau.

Prenez par exemple l’un des plus beaux plans du film, quand la caméra passe derrière les baies vitrées de l’appartement, à l’extérieur de l’immeuble, mêlant à la scène les reflets de la ville. Dans ce plan, la ville rentre à l’intérieur de l’intime, c’est ce que le film fait, il fait rentrer les immeubles interminables dans une intrigue très intime. La ville s’imprime dans chaque plan ou presque, avec ces barres d’immeubles imposants, et ce plan où l’on voit la ville entière noyée dans un espèce de brouillard, est-ce le héros qui s’y trouve paumé ou bien est-ce nous ? Il y a un voile sur l’image, presque sépia, reprenant les tonalités des vieilles photos, sans doute un indice de plus laisser par le réalisateur qui semble vouloir nous mener dans un véritable labyrinthe où l’on se perd pour retrouver, à la fin du film, en parlant de ce qu’on a vu, en y réfléchissant, le fil d’Ariane laissé par l’arachnéen Villeneuve.

Car le film est une toile tissée, un piège et un casse tête. Pour le héros ça ressemble à un piège mortel, le thème de l’araignée est d’ailleurs filé sur tout le film, prenez donc garde les arachnophobes, mais pour nous spectateur c’est ni plus ni moins qu’un jeu de piste dont nous ne comprenons l’ampleur qu’au fur et à mesure. Tout l’équilibre brillamment maintenu du film oscille entre la réalité, celle des personnages donc, et le labyrinthe et ses indices laissés par le réalisateur offrant un côté brumeux et onirique au film. On croirait presque au début que c’est le héros qui perd la boule avant de réaliser que ce jeu là s’adresse avant tout à nous spectateur.

Vertigineuse, la mise en scène brille par une simplicité apparente, mais uniquement apparente, on comprend vite l’utilité des plans sur les immeubles, ce sont eux qui créer ce sentiment de vertige, mais aussi l’impression d’être paumé, tous se ressemblent et se suivent, tous semblent être des sentinelles nous observant. Critique de la société moderne, peut-être, mais Villeneuve n’y prête qu’un intérêt secondaire, du moins nous semble-t-il, ce dont il parle est un sujet des plus intimes, au fond, le questionnement de soi-même, car Enemy est surtout un film existentiel. Ce qu’il questionne n’est pas tant l’identité mais ce que nos choix tissent comme chemin. Je vous dis cela tout en n’étant pas certaine, car Enemy nous pousse justement à la réflexion et aux suppositions.

Il est question de femme en tout cas, de la mère matricielle qui sait tout, chef des araignées, maîtresse du jeu dont elle semble connaître les règles, et de deux femmes, toutes les deux blondes mais s’opposant complètement dans ce qu’elles apportent au héros et ce qu’elles lui réclame. L’une est une maîtresse, s’absentant du lit, distante, absente, elle apparaît et disparaît sans qu’on sache pourquoi, mais c’est le jeu, un rituel qui provoque la dépression du héros, l’autre est la mère de ses enfants, femme aimante, enceinte, il peut changer, quitter l’amante inconstante pour la mère aimante, ce choix dépend de lui, n’est-il pas double, et donc n’a-t-il pas le choix entre deux vies ? Pourtant il y a un piège. Est-ce le démon à l’intérieur de lui ? Ne peut-il échapper donc à sa nature profonde ? Est-ce lui qui tisse la toile dans laquelle il se piège lui-même, ou l’araignée ne peut-elle piéger que celui qui s’y laisse prendre ?

Interrogation sans fin, pour en percer les secrets il faut les décrire, les pousser jusqu’au bout, prendre chaque piste et la poursuivre, il faut dérouler la pelote, déchiffrer les indices. Peut-être avez-vous d’autres réflexions à apporter, d’autres pistes, d’autres suppositions et peut-être que vous avez la clé du mystère.
Sophia
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le 15 sept. 2014

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