Aussi brouillon qu'une poignée de myrtilles

Il est toujours délicat de faire la lumière sur ses impressions après un film de la trempe d’Enemy, et vous pouvez le croire, c’est un esprit bien embrumé qui écrit ces quelques lignes. La raison de cette hésitation est typique du film à fort concept, très dense en thématique, mais si maniéré dans sa mise en œuvre qu’il en devient un vrai cas de conscience. Car dans le cas du film de Villeneuve, réussir à ennuyer autant en à peine 90 minutes de bobine, ça tient de l’exploit, mais pas le bon.


Dès lors, entre raison et plaisir, que choisir ? Faut-il passer à Enemy son rythme bancal, son enchaînement vicieux de scénettes montées selon une chronologie joueuse, uniquement parce que son sous-texte est objectivement très dense et forcément passionnant si l’on fait l’effort de pousser l’analyse après la séance ?


Parce qu’à mon sens, il est bien là le nœud du problème, dans ces théories fumeuses qui naissent de la séance, de toutes les extrapolations que l’on peut imaginer à partir d’une matière fertile qui ne s’exprime pourtant que très peu à l’écran. Car à bien y réfléchir, il ne se passe pas grand-chose dans Ennemy, à part une déconstruction inéluctable du couple, causée par un esprit compartimenté qui ne parvient plus à cerner sa propre réalité. Villeneuve la joue un peu facile, et choisit de morceler son histoire à tel point qu’il est bien difficile de reconstituer le puzzle qui en résulte. Une seule séquence, le repas avec la mère, consent à délivrer l’une des rares clés permettant un point d’appui à la réflexion. Pour le reste, il faut laisser vagabonder son esprit : la vérité est ailleurs, singe avec violence, une fin inattendue, qui fait appel à notre imagination pour choisir solution probable à la toile d’araignée qui s’est tissée dans le silence.


Villeneuve est pleinement conscient qu’élaguer au maximum son film lui assurera une place de choix au sein des discussions passionnées tenues à la pause café, mais n’est-il pas cavalier de semer aussi belle matière à polémique sans prendre le temps d’en livrer sa propre interprétation ? Pire, est-il légitime d’ennuyer autant son spectateur par crainte de trop en dire, en ne fournissant que le minimum syndical, et encore, pour tenir la distance d’un long métrage vendable en salle.


Je n’en suis pas si sur, et c’est ce qui fait que je reste de façon cruelle sur la réserve. J’aurais certainement tenu un autre discours si Villeneuve avait eu le courage de son idée, en bouclant sa bobine en au moins 20 minutes de moins, mettant certes en danger le potentiel commercial de son film, mais en restant au moins fidèle à sa première intention.




5.5/10

oso
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le 12 déc. 2014

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