Après des films plutôt légers comme Les Coquillettes, qui nous plongeait dans le
festival de Locarno, avec la forme d’un film-voyage ou La vie au Ranch, Sophie
Letourneur s’attaque à un sujet bien particulier puisque bien plus grave. Frédéric, joué
par Jonathan Cohen va mettre enceinte, sans son consentement sa femme, Claire,
jouée par Marina Fois. Ce qui déroute au premier abord dans Énorme, c’est que le ton
est le même que les précédents films de la cinéaste alors que le sujet est tout sauf
léger. Le ton ne paraît pas adapté à cette histoire et c’est ce qui fait l’originalité du film,
qui bascule entre comédie légère et quasi-documentaire dans sa deuxième partie pour
ce qui concerne la grossesse. Ce que Letourneur montre, jusqu’au dernier quart du
film, c’est un couple complétement déséquilibré, avec une femme passive, intérprétée
par une Marina Foïs fantômatique et naïve qui est totalement dominée,
instrumentalisée et objectifiée par son mari. La distribution est vraiment adaptée aux
personnages, avec un Jonathan Cohen qui parle sans arrêt, est constamment en
représentation, cabotine comme il sait le faire, en restant toujours juste. Marina Foïs
est également bien choisie, figure fermée, en retrait qui finit par se révolter dans une
reprise en main finale.
La dynamique du duo est vraiment intéressante d’autant que Jonathan Cohen, qu’on
suppose dans l’ombre de l’artiste qu’est Claire, cherche constamment la lumière,
l’attention dans le couple, considérant sa compagne comme un trophée, il parle pour
elle, décide pour elle, contrôle ses moindres faits et gestes. Le film renverse aussi les
stéréotypes de genre en donnant au personnage de l'acteur la place de muse de
l’artiste, se sentant parfois négligée par elle sexuellement. Dans cette
double-dynamique, l’homme domine et invisibilise la femme du couple, la force au
retrait. Le seul élément sur lequel Claire garde un certain contrôle et un pouvoir est sa
volonté de ne pas avoir d’enfant, et Frédéric va tout faire pour lui enlever ce pouvoir et
acquérir un contrôle total. S’il avait pu faire l’enfant seul, il l’aurait fait. Il cherche à
prendre la place de sa femme, allant aux cours de maternité à sa place, grossissant en
même temps que la grossesse avance.
L’histoire d'Énorme est celle d’un effacement mais c’est aussi celle d’une grossesse et
le deuxième aspect déroutant du film est dans son aspect documentaire. Letourneur
fait jouer aux personnes du domaine médical leur propre rôle, allant chercher du côté
du documentaire. Le film quitte alors la comédie pour se diriger vers un témoignage
qui se veut réaliste d’une grossesse. Le film n’oublie cependant pas son humour
grotesque, notamment quand le ventre de Claire gonfle à vue d'œil, Claire devient alors
à ce moment là le moteur principal du film, reprenant le contrôle de sa vie, faisant rire
par son impatience d’accoucher. Letourneur va au bout de son ambition documentaire
en allant jusqu’à filmer un vrai accouchement.
Cette double dynamique rappelle le travail de Sacha Baron Cohen dans le géniallissime
Brüno ou ses deux films Borat. Dans ces films, Sacha Baron Cohen mélange
constamment documentaire et fiction, créant une fiction pour justifier sa démarche
“documentariste” engagée au sein du film. Si l’acteur se sert d’un humour grossier,
dont Énorme fait usage, c’est pour amener son audience à voir le film, en l’attirant par la
comédie, pour finalement servir un propos politique, par la satire. Le dispositif de
Brüno comme Borat est assez exemplaire : mélanger des saynètes “documentaires”, en
caméra cachée, dans lesquelles on a les vraies réactions des personnes à l’écran face
au personnage haut en couleurs du comédien. Le plus fou étant dans Brüno la
dimension des personnes piégées et la place qu’elles occupent dans la société. Il en
joue en créditant un journaliste comme ex-chef du Mossad, en mélangeant ainsi
vérités et mensonges, ce qui permet de brouiller les différences entre les deux et
permet de croire que ce qui est faux est vrai, et ce qui est vrai est faux. C’est de cette
même logique qu’use Letourneur dans son film, semant des touches de documentaires
dans la fiction. Si on est très loin d’un modèle d’hybridation fiction documentaire
comme Close-Up, le film y parvient plutôt bien, mais on ne peut que se questionner
devant cette scène réelle d’accouchement.
Puisque quel intérêt finalement ? Pourquoi hybrider ainsi comédie et documentaire sur
la maternité ? Le propos de la cinéaste sur le couple et la domination de l’homme sur la
femme se joue en dehors de l’hôpital, que dit-elle donc sur le personnel hospitalier et
l’accouchement ? Et bien finalement rien. C’est sûrement le problème du film, passée la
première partie comique et ses réflexions sur la vie à deux, le film n’a plus rien de
nouveau à dire et se répète ou ne dit rien. Le seul intérêt qui apparaît serait alors
l’aspect pédagogique, mais le film ne va jamais vraiment au bout de cette idée qui
surgit comme un cheval de Troie, nous retirant peu à peu la comédie pour nous laisser
face à un ennui poli.