le film de coopérative, un genre pour durer ?
Entre nos Mains nous invite à voir comment, pour sauver leur emploi, la cinquantaine de salariés d’une entreprise de lingerie féminine en plein redressement judiciaire, va peu à peu se convaincre de créer une coopérative. Mariana Otero, la réalisatrice, a choisi pour faire ce film de suivre pendant plusieurs mois la vie de cette société de l’intérieur, captant échanges, gestes et sentiments, et nous rendant témoin de la progressive évolution que va entraîner cette perspective au sein des employées (mis à part quelques cadres, il ne s’agit que de femmes).
Le film démarre alors que la question de la coopérative semble tout juste posée. Entre les bureaux administratifs – situés à l’étage -, où les cadres s’interrogent activement sur les tenants et les aboutissants d’une telle transformation, et les ateliers des piqueuses et repasseuses du RDC où l’on regarde ce projet avec méfiance et un chouïa d’espérance, le fossé semble d’abord gigantesque. Les premiers, bien que visiblement empruntés par le fait de pouvoir acquérir une vraie autonomie d’action, se mettent au travail en multipliant les réunions, les informations et les débats. Du côté des ouvrières, on en parle timidement, sans trop y croire, et surtout sans trop oser le faire, tout en continuant mécaniquement ces gestes répétés depuis des années, depuis toute une vie pour certaines.
Seulement voilà, la coopérative appartient à ses employés. Elle repose sur le principe démocratique “une personne = une voix”, ce qui signifie que tous ses membres y sont égaux en droit. Pour exister et pour fonctionner, la boîte va devoir opérer des changements en profondeur. Et le premier d’entre eux est de taille, il va falloir décloisonner, se concerter. C’est ainsi que sans prévenir, le film nous rend témoin de ce doux miracle : l’apparition d’un dialogue. Entre ouvrières de différents “départements” qui avant ne se disaient qu’à peine bonjour, de même qu’entre le RDC, et les agents administratifs et cadres du premier, dont les rapports étaient précédemment si emprunts de hiérarchie, les mots peu à peu s’échangent, le dialogue se noue, l’écoute se fait.
Et à mesure que ce mécanisme avance, que la parole se libère, les nombreux doutes et hésitations des débuts s’envolent. Dans l’esprit de ces ouvrières, il ne s’agit plus seulement de sauver son emploi, mais aussi et surtout de sauver et de réinventer l’entreprise, de s’y construire une place moins passive et plus digne, d’y apprendre à travailler de concert.
En filigrane, au travers des nombreux échanges volés, et des quelques interviews improvisées, ce film nous livre d’émouvants témoignages de ces ouvrières de 30 à 60 ans, émigrées pour la moitié et qui évoquent leur place dans le monde du travail et au sein de leur foyer, aujourd’hui en France.
Il est difficile, en sortant de ce film, de ne pas tirer un parallèle avec celui coréalisé par Avi Lewis et Naomi Klein en 2004, The Take. Parce que le sujet est le même (la lutte pour créer une coopérative) et en dépit du fait que les contextes y soient très différents, et les traitements diamétralement opposés.
Pour mémoire, The Take rapportait l’histoire d’ouvriers mis à la porte de leur usine sans prime de licenciement, ni chômage, dans une Argentine traumatisée par l’effondrement de son système économique. Dans l’incapacité de retrouver du travail, et contraints par cette nouvelle pauvreté qui s’abattait sur leur foyer et leur pays, ils décidaient d’occuper leur usine abandonnée par les patrons et refusaient de la quitter. Commençait alors un long combat pour faire reconnaître leur droit à occuper l’usine et à la gérer en coopérative, combat à mener contre leurs anciens patrons, la justice, les banquiers…le système tout entier.
Là où Otero nous dresse en huis-clos une série de portrait de femmes qui se dévoilent au fil du film, entre soutifs et culottes, donnant autant dans l’analyse sociologique que dans l’étude de cas en économie sociale et solidaire, The Take se montre bien plus ambitieux : décrire les phénomènes d’une crise économique (en l’occurrence celle que traversa l’Argentine en 2001) et donner à la coopérative valeur d’exemple et raison d’espérer dans un monde globalisé et décadent.
Car au final, les ouvriers de The Take finissent par avoir gain de cause, malgré l’ampleur de la tâche au départ, et la taille des bâtons qu’on leur met dans les roues. Au contraire des couturières d’Entre Nos Mains, qui décident d’abandonner le projet à cause d’un simple bilan prévisionnel défavorable. Pas viable économiquement. Tout le monde au chômage. A Buenos Aires, ces hommes avaient eux déjà tout perdu.