(Pas) belle soirée pour une ballade


Alors, demain c'est la lessive, plus rien à se mettre ? Plus rien à se mettre, exact.



J'aurai aimé dire la même chose pour parler de ce vendredi soir-là. Retour 4 ans en arrière.


Ce soir, c'est vendredi. Nous décidons conjointement avec mon frère et ma petite amie d'antan de se faire un cinéma : par malheur, on oublie une seconde que le consentement cinématographique est gage d'échec. C'est rien, puis bon me direz-vous, un ciné ça paie pas de mine. Au programme, pas de block-buster ou de film particulièrement attendu par un de nous trois. Finalement, après une demi-heure de débats et de controverses, on ne trouve aucun accord.


Une heure plus tard, statut-quo. On continue de s'écharper avant de se rabattre finalement sur une affiche qui sort du lot et nous propose un biopic succulent sur Escobar : ah, ça tombe bien, on connait très peu le personnage malgré les 10 séries et 14 films sortis sur lui cette année-là. En plus, il y a une belle distribution (Bardem, Penelope Cruz) : ouuuh, that's a bingo.


Départ en voiture, arrivée au cinéma : à ce moment-là, nous étions à cent mille lieues de savoir que nous allions traverser une soirée historique, marquante pour le restant de notre vie. En entrant dans le hall de ce cinéma, nous venions de réaliser un geste déterminant pour le restant de nos jours.


En poussant les portes battantes de cette salle, je suis d'abord surpris par la foule qui s'amasse pour un film dont je n'ai que peu, voire pas entendu parler : c'est peut-être là que j'aurai du prendre la fuite, abandonner les miens quitte à les retrouver plus tard détruits, marqués à jamais par l'épreuve qui allait se profiler sous leurs yeux. Mais il est déjà trop tard : les lumières s'éteignent, le silence s'installe et nous entrons dans le premier jour du reste de notre vie. La pellicule se lance et je sais qu'elle ne laissera aucun de nous indemne.


Je vais vous raconter maintenant la plus grande aventure de ma vie, une histoire qui me fait frissonner rien qu'à l'idée de la rendre publique aujourd'hui. Le film s'ouvre sur une Penelope Cruz clinquante dans un jet privé. Rapidement, une voix-off apparait en fond et c'est la sienne :



"Il m'est déjà arrivé de devoir m'enfuir d'une maison en pleine nuit à cause d'un homme ... Mais c'est la première fois que je dois fuir un pays".



BAM. JE T'EN METS PLEIN LA VUE. JE SUIS RECHERCHÉE INTERNATIONALEMENT, et toi ? J'ai même la voix de Tony Montana qui me vient en tête



"J'exige mon putain d'asile politique, c'est le président Jimmy Carter qui le dit !".



Cette scène d'accroche est suivie d'une autre tout à fait banale qui se ponctue par un nouvel aparté pas nécessaire en off :



"Pablo aurait rit lui aussi en entendant ça. Ensuite il les aurait tous fait tuer".



Au moment de penser dans son for intérieur cette réplique narquoise, elle est recluse dans une chambre d'hôtel, exigeant qu'on lui apporte de l'aspirine. Face au refus des agents de la DEA qui la surveillent, elle se plaît à rêver de leurs jeter quelques mots en pâture, sans avoir le courage de le faire. Au passage, Pablito est mort depuis 10 ans au moment de dire ça en off. Je peux jurer qu'elle flex pour rien.


À ce moment-là, je sais déjà que la séance va être longue, lassante, ennuyante, chiante, fatigante, creuse, lourde, d'ailleurs n'hésitez pas à me trouver un adjectif frère des précédents, je suis en manque de synonyme depuis 4 ans (le choc psychologique dû au film, j'ai perdu toutes mes fonctions cérébrales depuis). Sur ma montre, ça ne fait que 2 minutes. Pourtant, ce prologue m'a donné envie de flinguer les miens sur les sièges voisins. Mais je continue, je reste dans le cinéma for the culture. Ninho disait "Je suis sur la piste, mais je danse pas", je me suis dit à ce moment-là "Je suis dans la salle, mais je regarde pas".


Le film démarre ensuite réellement : de jolis plans, une belle photographie, une histoire tout à fait correcte qui semble se profiler sous nos yeux mais la voix off de Penelope revient en permanence. Ok, soit : j'accepte mon sort, elle restera près de moi toute la séance.


Le film enchaîne sur des histoires de corruption, de meurtre, de drogue, enfin matière à construire un joli film, une belle oeuvre. Je ne demande pas à voir de grands films tous les jours et heureusement même, mais j'exige un minimum syndical, un standard qui convienne à tous.


Le film avance, progressivement, lentement, mais la voix off finit toujours par retentir. Et au lieu de me laisser regarder ce film, comprendre ce que j'ai sous les yeux, cette putain de voix off ne me lâche pas d'une semelle. À l'image de pauvres soldats qui se tiennent debout devant une porte. Penelope me chuchote tout doucement :



"CE SONT DES GARDES, DES SOLDATS QUI TRAVAILLENT".



Je me surprends à lui répondre :



Mais non, sans blague ? Attend, que je le note rapidement dans mon carnet de notes. Vraiment, qu'est-ce que tu viens m'expliquer ça ?



J'aurai pu comprendre la présence d'une telle voix si j'avais été aveugle ou malvoyant, mais là je m'en cogne royalement, je les vois, face à moi, debout, arme à la main, qu'est-ce qu'il faut de plus pour pas comprendre. Son propos n'apporte rien, il est totalement vide et j'ai regardé La Vengeance de Morsay pourtant. (ah si, ces soldats font partie de la classe inférieure, y'a du Marx dans ce film).


L'heure tourne et les scènes à rallonge se suivent, et il y a toujours cette voix des enfers pour nous pondre sa sérénade.



"Nous ne le savions pas à l'époque, mais ce soir-là, nous fêtions la création du Cartel de Medellín et le couronnement de Pablo qui en devenait le Roi".



Merci madame, j'en doutais à la vue des images et à l'écoute du son. Je pensais que lorsqu'on voyait des mafieux de Medellín trinquer à leur nouvelle association, c'était pour lancer une oeuvre caritative. Je me suis peut-être trompé.


La scène suivante débute et elle est tout simplement délicieuse : Virginia, journaliste, grand reporter, en guerre contre la corruption, décide d'accompagner Pablo sur le terrain. Elle a connaissance de ses activités et n'a pas hésité à le mettre à mal lors de la scène précédente. Rendez-vous sur une décharge à ciel ouvert pour faire une interview et Virginia, interprétée par Penelope Cruz, veut défier celui qui sera bientôt son amant.


Au cours de la première interview, et là accrochez-vous bien, alors qu'elle est censée réaliser une interview assez dure contre Pablo, Virginia nous délecte d'un petit sucre pendant qu'elle interview son criminel préféré. Sa voix off nous susurre à l'oreille :


> "Ce jour-là, je me suis dit que l'important ce n'était pas comment Pablo gagnait son argent, mais comment il le dépensait".


Vous saviez que Camus a écrit la même chose pour parler de Sintès, le pote maquereau de Meursault dans L'Etranger ? Maintenant vous savez.


Je fais des pieds et des mains à mon frère et ma copine pour se tirer avant que je n'implose. En 2020, Virginie Despentes a publié un papier dans Libé suite au départ d'Adèle Haënel des Césars. Il s'appelait "Maintenant on se lève et on se casse" : à mon plus grand malheur, on n'était qu'en 2018 à ce moment-là et je n'ai pas entendu la voix prémonitoire de Virginie. Pardonne-moi Virginie, même si ton nom ressemble étrangement à celui de Mme Escobar. Peut-être que toi aussi t'as serré devant ce chef d'oeuvre. Peut-être que t'as kiffé même. Bah, tu me dégoûtes Virginie.


Mon esprit part dans tous les sens, je décide de retourner à mon désastre audiovisuel. J'ai payé 8 euros, j'ai bien envie de les rentabiliser par une critique acerbe et pointilleuse du naufrage qui se trame sous mes yeux.


Coup d'oeil sur le téléphone : on en est à un quart d'heure de film. La catastrophe s'enchaîne sur une citations d'inspiration Jadot-iste :



"Si on doit pleurer à cause d'un homme, autant que ce soit en jet privé plutôt qu'en autocar".



Puis arrive la première scène de sexe. Finalement, si je devais retenir une seule chose du film, ce serait bien celle-la : l'amour. Merci à cette scène d'être présente, c'est peut-être la plus belle du film. La voix de Virginia disparaît afin de laisser place au témoignage de l'amour et j'en regrette presque les "quand Pablo m'a vu à l'hôtel, je savais qu'on baiserait comme des taureaux pendant une semaine" (non, elle l'a pas dit, mais à force d'être buté par ses propos, j'ai dû le rêver). La beauté des sentiments résumée au silence d'une voix off, si c'est pas unique dans l'histoire du cinéma ça. "Après ça, on peut mourir tranquille" comme disait l'ami.


En réalité, la scène se conclue sur un gémissement assez sauvage de Javier Bardem pour marquer la transition sexe-retour au business. La déliquescence de l'amour. Un vulgaire "Oooorrrrrrh", le même que vous faisiez pour imiter les grands quand vous aviez 13 ans. ET HOP VOUS AVEZ ÉCONOMISÉ 2H05 D'ENFER, MERCI @MIDA_A.


Le film ne nous suggère rien, tout est trop gros, tout est montré, on tire sur tous les traits et à force on tire sur le spectateur. Il n'y a aucune place pour l'imagination, notre esprit est martelé d'images et d'une voix off tout simplement désastreuse.


J'arrête ici avec toutes ces citations de voix off. Mais à vrai dire, j'ai passé un moment déplorable ou chaotique, au choix.


Au bout d'une heure, alors que je n'attendais plus rien de la vie, je n'espérais plus rien d'elle, Dieu a envoyé son meilleur messager pour me sauver : à ce moment-là, par un miracle inexplicable, mon frère, ma copine et moi-même nous nous sommes regardés simultanément et nous savions. Le message divin était passé. Pablo nous avait mis d'accord, comme si finalement c'était lui Dieu. Personnellement, j'y vois un symbole de l'image mythologique que Virginia tente de transmettre maladroitement pendant tout le film. Pardonne-moi Virginia, pardonne-moi Pablo, pardonnez-nous, nous avons été durs avec vous. J'étais à ça de me lever de mon siège pour leur dire finalement "Je vous ai compris".


Nous sommes sortis de la salle et le reste appartient à l'histoire. Depuis, je vis autrement.


Malgré tout, regardez-le s'il vous plaît. Pour la culture, pour vous construire, pour vous confronter à des choses terrifiantes. Vous avez peut-être raté cette voix. Vous l'avez peut-être entendue mais pas écoutée. Faites marche arrière et retournez près d'elle.


En guise de conclusion, je nuance toutefois : la scène de l'atterrissage d'avion est tout simplement géniale. D'ailleurs, c'est elle qui constitue l'essentiel de la bande-annonce. Le film dans son ensemble semblait plutôt cool aux premiers abords, un bon moment à passer. Mais il est porté par une voix persistante qui vous traumatise et empêche toute immersion dans le Cartel de Medellín. En fait, vous n'y étiez pas, c'est Virginia qui y était et c'est elle qui vous explique. Mais du coup, cette séance de cinéma, était-ce une fiction ou une réalité ? On tombe dans le naufrage de Matrix 4, j'en parlerai pas car c'est trop dur pour moi. Fiston est né, a grandi et est mort jeune.


Pour la petite histoire, j'ai vu ce film en 2018. Je me suis séparé de ma copine en 2021. Je continue de croire que c'est la raison majeure pour laquelle nous avons mis fin à notre couple. Ce jour-là, je l'ai abandonnée, je l'ai laissée seule face à son sort. Je n'ai pas su la sortir de là. Nous avons pris des chemins différents. Si j'avais su que ces 2h05 de cinéma m'infligeraient 20 ans de malheur, je n'y serai jamais allé. Brisez un miroir, ça vous coûtera moins.


Gracias Pablo, gracias a todos.


Je précise que j'ai vu le film en VF. Donc je mets une co-responsabilité sur Ethel Houbiers, qui double Penelope Cruz. C'est la règle : un artiste doit s'engager. Là, il le fallait : elle aurait du refuser de doubler sa jumelle espagnole.

mida_a
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le 5 janv. 2022

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mida_a

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