Il est de bon ton aujourd'hui de mépriser "Et Dieu créa la femme": scénario indigent -pourquoi pas, mais la situation est ici bien plus importante que la narration-... Mise en scène sans génie -certes mais certains films clippés et prétentieux de nos années présentes sont pires et pourtant parfois portés aux nues-... Interprétations médiocres -oui mais sauf Bardot, dont la suite prouvera qu'elle était une vraie artiste, à la palette large, de la fantaisie à la tragédie.
Quoi qu'il en soit, d'accord, "Et Dieu créa la femme" n'est pas un grand film. Mais c'est un film important. Et sourire en se pinçant le nez de son aspect mythique et de son succès prétendument incompréhensible, c'est ignorer ce qu'il a représenté -de façon d'ailleurs clivante- dans la société des années 50, et ce qu'il peut apporter à qui s'intéresse à cette Histoire.
La Juliette de Vadim ne ressemble à aucun des personnages féminins qui l'ont précédée dans le cinéma français. Elle ne se contente pas d'exprimer une sensualité instinctive, on dira parfois "animalité", comme une Viviane Romance dans les années 30. Ni d'assumer son goût et son besoin de séduire, y compris hors des clous de la morale, comme de ci-de là une Françoise Arnoul juste avant Bardot. Ni de vouloir exister clairement dans un monde d'hommes, comme la Darrieux des jeunes années ou un peu plus tard Martine Carol...
En rassemblant ces diverses facettes de la quête de liberté, elle revendique aussi et de surcroît, le droit d'être ce qu'elle est profondément, sans égards pour les figures imposées par la société, ses normes et ses préjugés. Juliette n'est pas une figure de la paresse ou de la nonchalance- comme décrite dans certains écrits à courte vue-, ni une figure de rébellion militante, elle est juste porteuse -intransigeante et parfois douloureuse- d'une exigence instinctive.
Un peu plus tard Jeanne Moreau incarnera à son tour cette moderne quête de liberté, mais avec moins de "proximité", puis la Mireille Darc de "Galia", finalement plus convenue que Juliette/Bardot. Et puis viendront les années 70, Girardot, Deneuve...
Mais dés cette année 56 où les droits des femmes étaient encore dans une sorte de préhistoire, "Et Dieu créa la femme" a marqué une étape, une borne dans la conquête. Vadim a fait sauter un verrou, et si le film est devenu mythe et Bardot star, c'est que derrière la porte au verrou sauté, se distinguait plus ou moins vaguement, au grand dam des uns et à la joie des autres, un monde différent.
Si le cinéma était seulement une industrie, on se contenterait de commenter le box-office. S'il était seulement un art, on ne rangerait pas le film de Vadim dans le tiroir du haut. Mais c'est aussi un média, donc un reflet d'époque(s), un miroir éclairant. Et c'est pourquoi "Et Dieu créa la femme", en phase avec son temps, est un film important.