Eureka
8
Eureka

Film de Shinji Aoyama (2000)

Finalement, ce film, c'est l'histoire de deux bus.
Le premier bus apporte la mort.
Le second ramène à la vie.

Dans une petite ville du Sud de l'archipel japonais, une prise d'otages dans un bus finit mal. La police intervient. Il ne reste que trois survivants : le chauffeur (Makoto) et deux enfants, un frère (Naoki) et une sœur (Kozue).
L'essentiel du film se déroule deux ans plus tard. Makoto le chauffeur revient chez lui, d'où il était parti juste après le massacre. Les deux enfants restent seuls dans leur grande maison : leur père est mort et leur mère est partie vivre avec un autre homme. Ils sont repliés sur eux-mêmes, coupés du monde et muets.
Tous tentent de survivre dans le traumatisme de ce qu'ils ont vécu.
Le temps semble arrêté. Et c'est là qu'il faut parler de la mise en scène.
Le film est tourné en sépia. Une couleur utilisée pour les souvenirs, pour montrer ce qui est ancien. Pour montrer que ces personnages vivent dans leur passé, qu'ils en sont prisonniers. Le présent n'existe plus.
Mais au-delà des seuls personnages, c'est toute la région qui semble figée dans l'ennui. Il n'y a pas de vie ici. Et le massacre n'en est pas responsable. Les plans d'ensemble nous montrent un ciel plombé par les nuages et un horizon constamment bouché. Makoto précise que le métier de chauffeur de bus, c'est l'art de tourner en rond, toujours sur le même parcours. Tu conduis, mais pour aller nulle part. Voyage immobile.

A cela s'oppose le second bus. Le véritable voyage. Celui, organisé par Makoto, et qui a pour but de sauver les victimes traumatisées. Pour repartir à zéro.
Le voyage occupe toute la seconde moitié du film. Il est donc long, et tout sauf facile. Car pour ressusciter, il faut s'arracher à ses souvenirs, se débarrasser de toutes les horreurs potentielles que ce traumatisme pourrait faire de nous. Se débarrasser de ces entraves comme on jette des coquillages dans le vent, sans oublier mais aussi sans laisser les souvenirs nous tuer.
La fin est vraiment sublime. Le changement de paysage est très significatif : nous arrivons au bord de la mer, exemple de l'espace ouvert et infini, comme l'avenir de ces personnages.

Le film est long (plus de 3h30) et contemplatif mais jamais ennuyeux (ce qui est déjà un exploit). Le cinéaste s'intéresse aux détails parfois infimes, mais tout fait sens, rien n'est là pour le plaisir. Tout, dans cette durée, est essentiel. Car le réalisateur ne se contente pas de nous dire : ils sont traumatisés. Il nous le montre, il nous le fait vivre. Pour mieux nous faire vivre aussi leur libération.
Les acteurs sont tous remarquables [à noter la présence rapide de Eihi Shiina, la sublime et inoubliable actrice d'Audition, de Miike].
Film subtil et intelligent, émouvant sans jamais tomber dans le pathos.

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le 6 janv. 2013

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SanFelice

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