Septième Art Forain

Eurociné 33 Champs-Élysées est un documentaire de Christophe Bier qui revient sur l'histoire du studio Eurociné fondé par Marius Lesœur et son fils Daniel. Un studio qui abreuvera pendant presque 25 ans les cinémas de quartiers français de nombreuses petites productions d'exploitations et de séries B fauchées. Ancien forain reconverti producteur à la fois généreux et radin Marius Lesœur est une sorte de Roger Corman à la française dont le plus grand mérite restera d'avoir donné à notre cinéma hexagonale un joli catalogue de films de genres bien foireux qui dorment du côté obscur du noble art cinématographique français.

Eurociné 33 Champs-Élysées revient donc à l'aide de nombreux témoignages dont celui de Daniel Lesœur sur l'histoire singulière de Marius dont les premiers pas dans le cinéma consisteront à louer du matériel forain et technique sur des tournages. Assez rapidement l'homme se lancera dans la production découvrant durant les années 60 à quel point l'érotisme attire les spectateurs. Dans les années 70/80 Eurociné se lance alors joyeusement dans toutes les nuances du bis en tournant des comédies, des westerns, des films d'aventures, des films érotiques, des films d'épouvantes, de la nazisploitation, des thrillers, des films de cannibales et des films d'horreur. Le crédo de Marius Lesœur c'est qu'il faut que ça fasse beau et que ça ne coute pas cher et à ce titre le documentaire est gorgé d'anecdotes savoureuses sur les méthodes de roublard du bonhomme jamais avare d'astuces pour économiser un bout de chandelle. Tourner deux films en même temps, transformer sa maison de campagne en studio, squatter les lieux de tournages d'un autre film, demander faute de dialogues aux acteurs de répété 12345 pour pouvoir ensuite les doubler en post synchro, faire manger pendant 15 jours de suite des sandwichs tortillas à une équipe de tournage, tourner 20 minutes puis faire un film complet en le remontant avec des inserts plusieurs autres films, se limiter le plus souvent à une seule prise, réduire les équipes de tournage au strict minimum, utiliser un seul et unique compositeur pour toutes les bandes originales ce sont quelques une des nombreuses anecdotes et astuces propres à Eurociné. Pourtant aucun des différents intervenants n'aura finalement de véritables mauvais souvenirs de ses tournages commando et d'une époque à laquelle ils pouvaient faire du cinéma comme d'infortunés mais sincères artisans. Car si Marius surveillait de près les budgets il laissait aussi à ses réalisateurs une pleine et entière liberté.

En parfait forain et camelot Marius Lesœur soignera parfaitement le service après vente des ses modestes productions avec des titres accrocheurs, des réalisateurs sous pseudos américanisés, des photos d'exploitations racoleuses et de magnifiques affiches d'exploitation signées à 80% par le graphiste et dessinateur Belinsky. Résultat des courses Eurocine va mine de rien vendre de nombreux films de son catalogue dans le monde entier notamment Le Lac des Morts Vivants qui reste son plus gros succès commercial. Le studio embauchera des cinéaste comme Jess Franco pour plus de 30 films ou Jean Rollin et des comédiens tels que Howard Vernon, Christopher Lee, Chuck Connors ou Robert Ginty.

Mort en 2003 dans une indifférence poli, Marius Lesœur n'aura pas droit à une apparition même furtive lors de l'hommage posthume des Césars à nos chers disparus; pourtant l'homme aura fait rêver et s'amuser des tonnes de spectateurs dans les salles de quartiers elles aussi aujourd'hui disparues et oubliées. Eurociné 33 Champs-Élysées a donc le mérite de remettre en lumière ce sympathique producteur autodidacte et assez unique en son genre.