Guitry était un dramaturge avant d’être un cinéaste, et un homme de lettres avant d’être un dialoguiste. Son cinéma en est imprégné, même s’il a su, très tôt, s’emparer de toutes les potentialités de cet art nouveau pour proposer de sémillants exercices de style, que ce soit dans Le Roman d’un tricheur ou Bonne Chance. Faisons un rêve, réalisé en 1936, est cependant plus modeste sur la forme, puisqu’il s’agit d’une adaptation de sa propre pièce écrite 20 ans plus tôt, avec sa première épouse, puis remontée avec sa seconde avant cette version filmique mettant à l’écran la délicieuse Jacqueline Delubac. Raimu, lui, resta pour les trois versions le mari, et on retrouve avec un immense plaisir sa faconde au servie d’un infidèle construisant laborieusement ses supercheries.
Après un prologue assez déconcertant où le cinéaste fait défiler, dans un salon, les stars du moment en alignant ses maximes au comique inspiré, l’unité du théâtre filmé prend ses aises. Faisons un rêve est effectivement moins ambitieux sur le plan formel, et sacrifie à tout ce qui fait la personnalité du trublion Guitry : un art de s’écouter parler et de se satisfaire de sa propre voix dans une dilatation déraisonnable des monologues ou des saillies humoristiques. Pour ceux qui ne s’en formalisent pas, ne reste que du plaisir dans une comédie de boulevard qui étrille avec enthousiasme les hypocrisies, les tromperies et la marche inéluctable du désir.
Le cliché devient une fin en soi on ne peut plus plaisante à partir du moment où on lui insuffle une belle matière première. Guitry brode ainsi sur des situations éculées grâce à une écriture de haut vol qui joue la plupart du temps sur un double traitement. Ainsi du mari, qui pense berner son épouse en inventant un banquier sud-américain (grand moment que de voir le marseillais Raimu s’essayer à la prononciation latino…) et de celle-ci qui le mène là où elle le souhaite tout en lui laissant croire qu’il sort vainqueur de l’entretien, avant de conclure « Et dire que cet homme-là est intelligent en affaires ! ». Ainsi de l’amant, un Guitry au meilleur de sa forme, longtemps seul à l’écran pour verbaliser ses émois jusqu’à parfumer les fleurs, imaginer le trajet de la femme jusqu’à son domicile ou s’adresser directement au spectateur…. Exercice de style paré d’élégance, débitant avec la plus grande assurance les traits les plus convenus contre le mariage et la fidélité, le film a la légèreté dont on oubliera vite le propos, même si le sourire perdurera à son souvenir.