Icône médiatique et mystérieux du street-art, Banksy est en réalité l’héritier des grands maîtres du trompe-l'œil. La première impression est rarement la bonne.
Je me suis plongé dans l’univers de Banksy, à travers son livre Wall and Piece et son documentaire Exit Through the Gift Shop, après quelques jours de vacances en janvier 2017 à Melbourne, galerie à ciel ouvert du street art. Le hasard a voulu qu’une exposition sur l’artiste y soit en même temps. Une occasion unique de voir ses œuvres, par essence éphémères (d’autant plus que trois de ses œuvres y ont été détruites par hasard en juillet).
Sauf que l’exposition sentait le souffre, car mise place par Steve Lazarides, ancien ami et agent de Banksy, avec lequel il s’est fâché. Malgré la force des œuvres proposées, un doute subsistait : est-ce de l’art ou du cochon ? La brouille est-elle réelle ou est-ce une mise en scène avec la complicité du street-artiste ? Banksy utilise-t-il son « désaccord » avec Lazarides pour dénoncer le monde de l’art, capables de fabriquer un sens à une exposition juste dans le but d’attirer des visiteurs ? Est-ce une démonstration par l’absurde que le street art n’a pas sa place dans un musée, mais précisément dans la rue ? D’autant plus à Melbourne où le graph se trouve à n’importe quelle rue.
« Copyright is for losers » écrit Banksy dans Wall and Piece
Ultérieurement, j’aurai une réponse simple à cette interrogation. Steve Lazarides est juste un profiteur.
« Je pense que Banksy ne monterait jamais une rétrospective de ses créations, car c’est de l’art éphémère. Mais toutes les œuvres de notre exposition sont dans le domaine public. Elles appartiennent à des collectionneurs privés qui les ont prêtées pour l’exposition. Toutes ont été authentifiées par Pest Control, l’agence artistique de Banksy. » Steve Lazarides sur ABC (il dira aussi «Banksy est au courant de l'exposition et ça ne lui fait pas vraiment plaisir »)
Toutefois, le doute reste toujours. Et si je vous raconte cette expo, ce n’est pas (seulement) pour me la raconter. J’ai ressenti absolument la même chose devant Exit Through the Gift Shop.
Banksy détourne les icônes, qu’elles soient religieuses, culturelles ou commerciales, pour leur donner un autre sens. Il les travestit pour les mettre à la vue de tous, dans la rue. Enfin, ça c’était avant que ses œuvres ne s’arrachent, littéralement, sur les murs.
Alors que je m’attendais à voir dans Exit Through the Gift Shop une histoire de Banksy, j’ai eu droit à celle de Thierry Guetta, dont j’ignorais l’existence. Au final, l’artiste fait ce qu’il sait le mieux faire : il détourne le documentaire. Exit Through the Gift Shop parle du documentariste, Thierry Guetta, qui voulait faire un documentaire sur Banksy. Une mise en abyme comme une Vache qui rit graphée sur le mur d’une usine Bel.
L’artiste détourne même le principe de réalité du documentaire. Car ce film raconte avant tout ce qu’est le street art, ou plutôt la définition de Banksy du street art. Les premiers temps sont ceux de l’insouciance, de la clandestinité, du Do it yourself et d’une certaine innocence. Un temps béni qui se voit documenter par l’improbable Thierry Guetta. Puis vient le temps de la (sur)médiatisation, transformant les vandales en artistes, véritable insulte à l’Histoire. Le street art devient (presque) un art officiel. Le street art est mort, vive le street art.
Exit Through the Gift Shop est une mise en garde sous forme de biographie. La transformation de Thierry Guetta en Mr. Brainwash est à la fois une sucess story personnelle et une descente en enfer artistique.
Et c’est là que le doute s’installe. Car il ne faut pas oublier qui fait le documentaire. Banksy déforme la réalité pour en déformer le sens, tout en laissant le spectateur se faire sa propre idée. Si Banksy revendique une certaine paternité dans la genèse de Mr. Brainwash, reste à savoir quelle en est la portée. Thierry Guetta est-il un profiteur comme Steve Lazarides ? A croire que Banksy choisit très mal ses amis. Ou Mr. Brainwash est un épouvantail pour les « vrais » street-artistes ?
Exit Through the Gift Shop n’est au final qu’un pavé de plus dans l’œuvre artistique de Banksy, un pavé qu’il jette allégrement dans la mare pour en troubler la surface.
Après avoir visionné Exit Through the Gift Shop, je me suis même demandé si Thierry Guetta avait réellement existé. Sa fiche Wikipédia ne le classe pas dans les personnages fictifs, mais elle contribue à brouiller les pistes.
Depuis la sortie du documentaire Faites le mur !, il y a eu beaucoup de spéculations comme quoi le film et l’histoire de Mr. Brainwash sont un canular concocté par Banksy et Shepard Fairey eux-mêmes. […] Le magazine The Times a annoncé selon les rumeurs que Mr. Brainwash n’était rien d’autre qu’une couverture pour Banksy voire même qu’il était Banksy. Fast Company a conclu que « Toute cette histoire n’était qu’une farce faite par Banksy, qui n’avait jamais montré son visage au public, avec comme complice Shepard Fairey… (Son travail) ressemble à celui de Banksy tout en essayant de ne pas lui ressembler ». […] Quelques personnes ont même suggérés que Fairey et Banksy gonflaient les ventes des œuvres de Mr. Brainwash.
Car, quoi que fasse Banksy, une question reste toujours : qui est-il ?
A l'aide de la méthode du profilage géographique, des scientifiques de l'Université de Queen Mary à Londres ont déclaré en 2016 avoir identifié le graffeur : un certain Robin Gunningham, qui aurait fait ses études dans une des écoles de Bristol.
Le nom de Robert Banks ressort aussi. Et plus récemment est même apparu celui de
Robert Del Naja, chanteur et co-fondateur du groupe de trip-hop Massive Attack. En concert à Bristol, l'artiste a réfuté cette rumeur devant plus de 27000 personnes. Sa réponse est en soi un manifeste :
«Nous sommes tous Banksy»